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Page:NRF 17.djvu/411

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finit par s’arranger si bien en mettant un grand chapeau rabattu, qu’il n’y paraissait plus quand elle n’était pas au grand jour. Elle en était bien contente de sa photographie, parce qu’à ce moment-là elle ne croyait pas qu’elle reviendrait de Balbec. J’avais beau lui dire : « Madame il ne faut pas causer comme çà, j’aime pas entendre Madame causer comme ça », c’était dans son idée. Et dame il y avait plusieurs jours qu’elle ne pouvait pas manger. C’est pour cela qu’elle poussait Monsieur à aller dîner très loin avec M. le Marquis. Alors au lieu d’aller à table, elle faisait semblant de lire et dès que la voiture du Marquis était partie, elle montait se coucher. Des jours elle voulait prévenir Madame d’arriver pour la voir encore. Et puis elle avait peur de la surprendre, comme elle ne lui avait rien dit. « Il faut mieux qu’elle reste avec son mari, voyez-vous Françoise ». Françoise me regardant me demanda tout à coup si je me « sentais indisposé ». Je lui dis que non ; et elle : « Et puis vous me ficelez là à causer avec vous. Votre visite est peut-être déjà arrivée. Il faut que je descende. Ce n’est pas une personne pour ici. Et cependant, elle pourrait être repartie. Elle n’aime pas attendre. Ah ! maintenant Mlle Albertine, c’est quelqu’un. — Vous vous trompez, Françoise, elle est assez bien, trop bien pour ici. Mais allez la prévenir que je ne pourrai pas la voir aujourd’hui » et je restai toute la journée dans ma chambre à pleurer.

Quelles déclamations apitoyées j’aurais éveillées en Françoise si elle m’avait vu pleurer. Soigneusement je me cachai. Sans cela j’aurais eu sa sympathie. Mais je lui donnai la mienne. Nous ne nous mettons pas assez dans le cœur de ces pauvres femmes de chambre qui ne peuvent pas nous voir pleurer, comme si pleurer nous faisait mal ; ou peut-être leur faisait mal, Françoise m’ayant dit quand j’étais petit : « Ne pleurez pas comme cela, je n’aime pas vous voir pleurer comme cela. » Nous n’aimons pas les grandes phrases, les attestations, nous avons tort, nous fermons ainsi notre cœur au pathétique des