SOIRÉES PERDUES 4I9
pont du vaisseau cinglant vers la France, la voilette blanche flottant au vent comme les petites fumées blanches des villas rouges dans les bois, revenant de Londres, amaigrie et malade... Je la revois encore dans le jardin de la maison de santé, à Saint-Germain, embrassant une amie ivre de morphine, alors que je l'attendais grave et vêtu d'un élé- gant costume clair. On pouvait visiter les malades deux fois par semaine. Ah ! la semaine des trois dimanches et des quatre jeudis !
Le soir, dans ma chambre, j'écrivais ma tristesse :
Petits bateaux, vies sentiments A la dérive feu de foie ! Le plus beau souvenir se noie Dans la mémoire des amants !
J'ai retrouvé une lettre de Laurence, la dernière qu'elle m'écrivit :
« J'ai été triste toute la journée, chéri, j'aurais tant voulu être avec vous. Cette après-midi, je suis allée sur la Ter- rasse et un vieux pauvre est venu s'asseoir à côté de moi. Il m'a donné des conseils pour ma guérison. J'ai pleuré, j'ai eu beaucoup de peine, chéri ; il me semble que je n'aurai plus rien de tout ce qui m'a rendue si heureuse. Est-ce pos- sible que ma jeunesse soit déjà finie ?
On ne comprend pas que j'aie de la peine en songeant aux années de ma vie qui ne reviendront plus. Maman rai- sonne un peu comme le pauvre de la Terrasse. Ce matin, elle m'a exhortée à l'abnégation, au sacrifice... Je ne sais pas pourquoi. Hier soir, j'ai relu toutes vos lettres en pen- sant que je vous verrais demain. Vous avez été si gentil de m'écrire quand j'étais malade et je suis si heureuse de vous avoir connu ! Maintenant je n'ai presque plus de peine chéri, c'est parce que j'ai pensé à vous.
A demain, n'est-ce pas ? je vous envoie toute ma ten- dresse. »
Mais je n'aimais pas Laurence, si je l'avais aimée, je
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