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XOTES 483

difficile. Mais quelle connaissance des hommes révèle cette étrange comédie !

Les neurologues ont récemment défini un type de malade, le « persécuteur », qui hait et poursuit en autrui des tares sexuelles dont à son insu il est atteint lui-même. La fureur qu'apportent ces individus ,à réclamer des répressions n'est qu'une inconsciente défense de leur organisme contre un mal qui l'attaque en secret. Le personnage d'Angelo, le sombre lieutenant du Duc, est la parfaite illustration de cette névrose. Ce n'est pas un simple hypocrite. La rage avec laquelle il pourchasse la sensualité est celle d'un moine fanatique, non d'un débauché qui couvre son jeu. Il observe, semble-t-il, une sévère continence jusqu'à l'instant où sa folie éclate et où, voyant à ses pieds la jeune religieuse, sœur de Claudio, qui le conjure d'épargner la vie du jeune homme, il lui propose soudain son infâme marché. Notez la brusquerie du désir, ce qu'il a de sacrilège, de sadique et de follement impru- dent. Angelo a hypocrite » reste une figure assez incohérente ; mais Angelo « persécuteur », voilà un type posé avec des dessous d'une exactitude impitoyable. « Nous voudrions, puis nous ne voudrions pas », dit-il lui-même, mot qui est d'un homme travaillé par des instincts contradictoires.

Avec Shakespeare il faut toujours oser comprendre. Quand un de ses personnages ne nous satisfait pas, c'est parce que les indications en sont trop peu développées, ce n'est point parce qu'elles sont fausses. Examinons de nouveau la figure du Duc qui, tout d'abord, nous semblait déconcertante et conçue uni- quement pour les besoins de l'affabulation. Cet épicurien pes- simiste qui, moitié par curiosité, moitié par lassitude et goût de la vie contemplative, livre sa bonne ville de Vienne à la tyrannie de l'impitoyable Angelo ; ce sage qui se plaît sous un froc de moine nous surprend lorsqu'il avoue qu'il connaissait déjà une vilenie commise par son homme de confiance. Alors pourquoi l'avoir revêtu d'un pouvoir si redoutable ? Oubli ? inconséquence ? Il ne faut jamais invoquer ces excuses, tant qu'il est possible de découvrir une intention. Voici, quelques instants plus tard, le Duc en présence de Claudio qu'il est résolu de sauver et qui certes a suffisamment expié sa légèreté. Or pourquoi lui dit-il : « Il faut mourir demain ; mettez-votis à

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