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NOTES 495

œuvres, que de répéter des rôles inventés par d'autres qui, eux, furent des poètes ? Qui est-ce qui saurait nous dire ce que nous sommes au fond de nous-mêmes ? Eternels acteurs, nous savons jouer tout, sans jamais être rien de ce que nous repré- sentons. Ils s'accusent de mensonge :

— Mes. pauvres amis, leur répond l'homme miroir, vous ne savez ce que vous dites. Pour être acteurs, étes-vous donc men- teurs ? \'ous ne le devenez que quand vous prétendez être autre chose. Dégoûtés de la scène, vous déclarez vouloir vivre désor- mais d'une vie qui soit à vous, mais quoi que vous fassiez, vous ne ferez jamais que changer de rôle, et votre jeu n'en sera pas meilleur...

La discussion en est là. Disons toutefois que chez M. Werfel, à l’encontre de ce qui se passe dans sa pièce, il y a réconcilia^ tion. Le fait mérite d'être signalé, d'abord parce qu'il constitue un des symptômes, fort nombreux d'ailleurs, qui nous montrent que tout finira ici par entrer dans l'ordre, et ensuite parce qu'il nous a valu l'œuvre fort intéressante, dont je viens de vous entretenir.

Il y a toutefois des jeunes qui restent irréconciliables, et leur fuite éperdue devant le miroir qui les mène dans les pays les plus exotiques, ne manque ni d'intérêt ni de grandeur. Mais je leur dirais de toujours se méfier, car l'homme miroir est tenace. Débarquant dans une de ces contrées lointaines, refuge d'une âme en quête de songes vierges et d'inspiration première, sont- ils bien sûrs de ne pas y retrouver leur éternel compagnon, le Mephisto de la littérature ? Je le vois sous la forme d'un derviche ou d'un nègre leur tendre le miroir révélateur, et, souriant d'un air narquois, les féliciter d'avoir bien joué un rôle dont certainement les connaisseurs sauraient apprécier les charmes et la nouveauté. Est-ce donc là ce qu'ils avaient voulu quand errant de par le monde, ils étaient partis à leur recherche de leur moi?

Il y aurait peut-être une autre solution à proposer ; celle qui consisterait à ne plus avoir besoin de se regarder dans un miroir, pour être sûr qu'on existe. Mais c'est bien difficile, car cela supposerait que le moi eût repris pleine confiance en lui- mêm.e, et fût revenu à sa première vigueur. Or, tout ce que M. Werfel nous enseigne ne tendait-il pas précisément à nous

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