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CÉSAIRE 581

Le drôle ne savait que me regarder, comme si c'est moi qui lui avais pris la Rose-Marie ! Alors quelqu'un a crié : « Raconte donc ce que tu m'as dit des oiseaux de mer, de ceux qu'on appelle des fous, dont les ailes ont juste l'ou- verture de nos bras étendus, et qui crient comme des hommes, quand le vent les brise contre la mâture et qu'ils viennent s'assommer sur le pont. » Si tu l'avais vu se décomposer ! « Moi je t'ai dit ça ? » — « Hier à la soupe. Même tu m'as demandé si j'y croyais, si vraiment c'étaient des marins qui avaient blasphémé la Vierge et si j'avais déjà vu des hommes dont les mains commençaient à se palmer. » Ce fut le signal d'un tapage ! On ne s'entendait plus à force de rire !... Moi je m'étais glissé dans ma cou- chette et je voyais mon Yvon qui grelottait, vert comme une feuille, tout en suant à grosses gouttes. Alors le patron s'est approché de lui. Tout le monde se taisait dans l'attente de quelque chose d'extraordinaire. Mais il a regardé notre homme dans la figure et il s'est simplement touché le front en disant : « C'est un fou »... Si quelqu'un est cause du suicide d'Yvon, c'est lui par la façon dont il a pro- noncé ce mot.

(Un silence.)

On ne mange pas la soupe ?

Benoit. — Donne une preuve qu'il s'est suicidé.

CÉSAIRE. — Un fou !

Benoit. — Je l'ai toujours vu raisonner aussi bien qu'un autre.

CÉSAIRE. — Pas depuis qu'il était sur VOrion.

Benoit. — Qui lui a parlé des hommes changés en fous ?

CÉSAIRE. — Quelqu'un qui en avait vu, je pense.

Benoit. — Toi, pardi !

CÉSAIRE. — Si je te racontais que certains hommes ne trouvent de repos nulle part, qu'ils ont des angoisses comme si quelque chose travaillait tous leurs membres, et des battements dans les yeux, comme si une paupière

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