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éo8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

faite décence de termes) la peinture brûlante et authentique de l'amour total : ce sont autrefois les sœurs Brontë, aujourd'hui Miss May Sinclair. D'autre part, à la différence du roman fran- çais du xix^ siècle, et plus large, plus indépendant que lui, le roman anglais peut porter sur d'autres réalités humaines que l'amour (auquel avec Balzac l'argent fait chez nous une rallonge, mais encore secondaire). Les deux plus illustres romanciers de l'avant-dernière génération, Kipling et Wells (on rabattra ce qu'on voudra de la conjonction) demeurent à peu près étran- gers à ses peintures, Kipling toute sa carrière et Wells dans la première et la troisième partie de la sienne. Il est vrai que ni l'un ni l'autre ne laisseront dans la circulation un seul person- nage largement vivant : reste que dans le roman anglais, et malgré Meredith, le département de l'amour appartient aux femmes plus qu'aux hommes. Et s'il n'en est pas tout à fait de même chez nous, nous avons pu voir cependant, depuis George Sand jusqu'à nos brillantes romancières d'au- jourd'hui, le génie féminin ajouter au roman ce que de l'amour l'art de l'homme n'atteindrait pas.

Sauf le cas exceptionnel de George Eliot, ces zvomen novelists sont, en Angleterre comme chez nous, des combattantes. Leur art n'est pas désintéressé. Elles luttent pour une cause. « Elles ont été, dit M. Chevalley, l'avant-garde des mouvements pour la réforme du mariage, du divorce, des lois sanitaires et sociales. Elles ont exprimé plus fortement cette lutte des sexes qui est faite d'amour et de haine. » Et il fait cette supposition ingé- nieuse « que la longue paix démocratique (?) et mercantile où deux ou trois générations d'Anglais vécurent sans exposer leur vie ait obscurément exaspéré l'instinct collectif et profond des femmes, qui, elles, risquent la leur à chaque maternité » jusqu'à la grande guerre. La conquête du roman par les femmes ne fera probablement que continuer et se développer, et la nature féminine fournira longtemps des sources fraîches pour renou- veler le roman. La littérature française a pris depuis quelque temps figure d'un champ de bataille politique. Dans cinquante ans elle sera peut-être un champ de bataille sexuel.

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��Enfin une question de technique. M. Chevalley nous dit à

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