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transposer Callot, à réaliser des eaux-fortes verbales, ni, comme Baudelaire, à s’évader de la prosodie pour mieux conformer à son rythme intérieur et plus librement traduire les plus vaporeux et les plus secrets de ses rêves. La raison d’être du poème en prose — ce Saint Jean-Baptiste précurseur du vers libre — il ne semble même pas la soupçonner. Pas un instant, il ne soupçonne ce qu’un Gustave Kahn et un Jules Laforgue dériveront de là, ce qu’un Rimbaud en a déjà tiré, encore moins a fortiori ce qu’un Max Jacob ou un Pierre Reverdy en feront trente-cinq ans plus tard. Cet absolutiste de la versification apparaît ici dans la posture ridicule de Louis XVI prêtant serment à la Constitution et apprêtant lui-même l’échafaud où il périra. Oui, ce que cherche Banville, ce n’est ni rythme, ni quintessence, mais simplement à utiliser le trop-plein d’une verve pailletée de journaliste, prodigieusement riche et variée.

C’est pourquoi si cette Lanterne Magique ne présente aucun intérêt, ou un intérêt purement négatif, dans l’histoire du poème en prose, elle demeure, considérée sous l’angle qu’il faut, un document précieux et, dans son genre, peut-être un chef-d’œuvre.

On y retrouve tout ce qui mérite de rester de la chronique parisienne du second Empire et du maréchalat de Mac-Mahon. Toute cette mousse boulevardière, du temps où le « boulevard » était tellement provincial, tout cet Aurélien Scholl, tout ce Chincholle, tout cela serait définitivement évaporé, si Banville ne l’avait pas fixé durablement ici à l’aide d’un peu d’authentique poésie. Ce sont des échos, des nouvelles à la main, des entrefilets, des chroniquettes qu’il nous offre, et qui ont certes vieilli, mais qui n’ont point perdu leur charme. Ce charme qui est dans les dessins et les légendes de Gavarni et de Daumier, ou même de Cham et de Grévin, mais rehaussé d’un grain de lyrisme. Il y traîne des restes de l’époque Louis-Philippe, du Balzac et de l’Henri Monnier. Il y a les négociants de la rue Saint-Denis, la noblesse légitimiste un peu déchue, le poète pauvre qui dit toutes les cinq minutes : « nous autres poètes » et de touchantes allusions à la misère du peuple, sans oublier les accessoires du temps : le porteur d’eau Auvergnat, le bal de l’Opéra, le café Tortoni, quelques autres encore et aussi page 213 « la femme idéalement capiteuse qui en un instant vient de rendre Paris fou d’amour ».