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642 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

— sur les ternes visages desquels ne pouvait se lire aucune notion relative aux Verdurin, aucun espoir de jamais dîner à la Raspelière. D'ailleurs ces voyageurs vulgaires eussent été moins intéressés que moi si devant eux on eût prononcé

— et malgré la notoriété acquise par plusieurs — les noms de ces fidèles que je m'étonnais de voir continuer à dîner en ville, alors que plusieurs le faisaient déjà, d'après les récits que j'avais entendus, avant ma naissance, à une époque à la fois assez distante et assez vague pour que je fusse tenté de m'en exagérer l'éloignement. Le contraste entre la conti- nuation non seulement de leur existence, mais du plein de leurs forces, et l'anéantissement de tant d'amis que j'avais déjà vus, ici ou là_, disparaître, me donnait ce même senti- ment que nous éprouvons quand à la dernière heure des journaux nous lisons précisément la nouvelle que nous attendions le moins, par exemple celle d'un décès préma- turé et qui nous semble fortuit parce que les causes dont il est l'aboutissant nous sont restées inconnues. Ce sentiment est celui que la mort n'atteint pas uniformément tous les hommes, m.ais qu'une lame plus avancée de sa montée tragique emporte une existence située au niveau d'autres que longtemps encore les lames suivantes épargneront. Puis je voyais qu'avec le temps non seulement des dons réels qui peuvent coexister avec la pire vulgarité de con- versation se dévoilent et s'imposent, mais encore des individus médiocres arrivent à ces hautes places, attachées dans l'imagination de notre enfance à quelques vieillards célèbres sans songer que le seraient un certain nombre d'années plus tard leurs disciples devenus maîtres, et ins- pirant maintenant le respect et la crainte qu'eux-mêmes éprouvaient jadis. Mais si les noms des fidèles n'étaient pas connus du « pecus », leur aspect pourtant les dési- gnait à ses yeux. Même dans le train, (lorsque le hasard de ce que les uns et les autres d'entre eux avaient eu à faire dans la journée les y réunissait tous ensemble), n'ayant plus à cueillir à une station suivante qu'un isolé, le

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