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Page:NRF 17.djvu/661

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qu’au lieu de s’affaiblir au lit ou de se laisser berner par une grue ils feraient mieux de rester près d’elle, elle, seul remède et seule volupté. Mais la destinée qui se plaît parfois à embellir la fin des existences qui se prolongent tard avait fait rencontrer à Mme Verdurin la Princesse Sherbatoff. Brouillée avec sa famille, exilée de son pays, ne connaissant plus que la Baronne Putbus et la Grande-Duchesse Eudoxie, chez lesquelles, parce qu’elle n’avait pas envie de rencontrer les amies de la première, et parce que la seconde n’avait pas envie que ses amies rencontrassent la Princesse, elle n’allait qu’aux heures matinales où Mme Verdurin dormait encore, ne se souvenant pas d’avoir gardé la chambre une seule fois, depuis l’âge de douze ans où elle avait eu la rougeole, ayant répondu le 31 décembre à Mme Verdurin qui, inquiète d’être seule, lui avait demandé si elle ne pourrait pas rester coucher à l’improviste, malgré le jour de l’an : « Mais qu’est-ce qui pourrait m’en empêcher n’importe quel jour ? D’ailleurs, ce jour-là on reste en famille et vous êtes ma famille », vivant dans une pension et changeant de pension quand les Verdurin déménageaient, les suivant dans leurs villégiatures; la Princesse avait si bien réalisé pour Mme Verdurin le vers de Vigny remis en lumière par une épigraphe de Robert de Montesquiou : « Toi seule me parus ce qu’on cherche toujours », que la Présidente du petit cercle, désireuse de s’assurer une « fidèle » jusque dans la mort, lui avait demandé que celle des deux qui mourrait la dernière se fit enterrer à côté de l’autre. Vis-à-vis des étrangers, — parmi lesquels il faut toujours compter celui à qui nous mentons le plus parce que c’est celui par qui il nous serait le plus pénible d’être méprisé : nous-même, — la Princesse Sherbatoff avait soin de représenter ses trois seules amitiés — avec la Grande-Duchesse, avec les Verdurin, avec la Baronne Putbus — comme les seules, non que des cataclysmes indépendants de sa volonté eussent laissé émerger au milieu de la destruction de tout le reste, mais qu’un libre choix lui avait fait élire de