Aller au contenu

Page:NRF 17.djvu/667

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tenir leur partie dans le concert de la conversation générale et étaient capables en venant chez Mme Verdurin de détruire un des fameux mercredis, chefs-d’œuvre incomparables et fragiles, pareils à ces verreries de Venise qu’une fausse note suffit à briser. « De plus ils doivent être tout ce qu’il y a de plus anti, et galonnards, avait dit M. Verdurin. — Ah ! ça par exemple, ça m’est égal, voilà assez longtemps qu’on en parle de cette histoire-là », avait répondu Mme Verdurin qui sincèrement dreyfusarde eût cependant voulu trouver dans la prépondérance de son salon dreyfusiste une récompense mondaine. Or le dreyfusisme triomphait politiquement mais non pas mondainement. Labori, Reinach, Picquart, Zola, restaient pour les gens du monde des espèces de traîtres qui ne pouvaient que les éloigner du petit noyau. Aussi, après cette incursion dans la politique, Mme Verdurin tenait-elle à rentrer dans l’art. D’ailleurs d’Indy, Debussy, n’étaient-ils pas « mal » dans l’Affaire ? « Pour ce qui est de l’Affaire nous n’aurions qu’à les mettre à côté de Brichot, dit-elle (l’universitaire étant le seul des fidèles qui avait pris le parti de l’État-Major, ce qui l’avait fait beaucoup baisser dans l’estime de Mme Verdurin). On n’est pas obligé de parler éternellement de l’affaire Dreyfus. Non, la vérité c’est que les Cambremer m’embêtent. » Quant aux fidèles, aussi excités par le désir inavoué qu’ils avaient de connaître les Cambremer, que dupes de l’ennui affecté que Mme Verdurin disait éprouver à les recevoir, ils reprenaient chaque jour en causant avec elle les vils arguments qu’elle donnait elle-même en faveur de cette invitation, tâchaient de les rendre irrésistibles. « Décidez-vous une bonne fois, répétait Cottard, et vous aurez les concessions pour le loyer, ce sont eux qui paieront le jardinier, vous aurez la jouissance du pré. Tout cela vaut bien de s’ennuyer une soirée. Je n’en parle que pour vous, » ajoutait-il, bien que le cœur lui eût battu une fois que dans la voiture de Mme Verdurin il avait croisé celle de la vieille Mme de Cambremer sur la route, et surtout qu’il fût humilié