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interminable ; il n’y découvrit aucune clairière, pas même un sentier de bûcheron. Il s’étonnait d’avoir vécu dans une région aussi sauvage. Il y avait quelque chose de sinistre dans cette révélation.

Au soir, il était fatigué, affamé. Il avait les pieds en sang. Le souvenir de sa femme et de ses enfants aiguillonna sa lassitude. Enfin il rencontra une route : elle allait le conduire dans la bonne direction, il le savait. Cette route était large et droite comme une rue citadine, et pourtant il semblait que nul n’y voyageât jamais. Aucun champ ne la bordait, aucune habitation. Nul aboiement de chien qui suggérât la présence d’une demeure humaine. Les troncs noirs des arbres formaient une paroi rigide des deux côtés, se terminant en pointe à l’horizon, comme un diagramme de perspective. Au-dessus de sa tête brillaient de grandes étoiles d’or d’un aspect inconnu, groupées en d’étranges constellations. Il était persuadé qu’elles étaient disposées dans un ordre qui avait une secrète et maligne signification. La forêt était pleine de bruits singuliers, parmi lesquels — une fois, deux fois, plusieurs fois — il entendit des murmures proférés dans une langue inconnue.

Son cou lui faisait mal et, y portant la main, il le trouva horriblement enflé. Il devinait un cercle noir à l’endroit où la corde l’avait meurtri. Il se sentait les yeux congestionnés ; il ne pouvait plus les fermer. Sa langue était gonflée par la soif ; il en soulagea la fièvre en la projetant hors de sa bouche dans l’air froid. Quel doux tapis de gazon dans cette avenue inexplorée. Il ne sentait plus la route sous ses pieds.

Sans doute, malgré sa souffrance, s’était-il endormi tout en marchant, car à présent il assiste à une scène inattendue. Peut-être a-t-il eu simplement le délire. Il se tient devant la grille de sa maison. Tout est là comme il l’avait laissé. Tout brille dans la lumière du matin. Il doit avoir voyagé toute la nuit. Comme il pousse le battant de la grille et entre dans la large allée blanche, il aperçoit un frémisse-