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■REFLEXIONS SUR LA LITTERATURE 719

Tious n'aurons qu'un homme — c'est-à-dire un être aux moyens limités, aux horizons bornés par la réalité, et sans aucune commu- nication directe ou indirecteavec l'au-delà. C'est pourtant ce faible humain qui assumera la charge de dévoiler tous les mystères de ■nos destinées, de prononcer sur tout l'insoluble et le caché de l'univers, de dire le mot de toutes les énigmes que, depuis l'aube du monde, l'humanité s'acharne vainement à percer. ... Eh bien, cette immutabilité, cette infrangibilité de la foi métaphysique, après une telle succession de ratés que ne cou- pèrent jamais un succès net, une précision acquise, une solu- tion franche, que voulez-vous, moi, cela me dépasse. Il y a ^ngt-cinq ans, au sortir des études, je ne pouvais me retenir d'en écrire ma stupeur. Et maintenant encore, chaque fois que j'y pense, je me sens rajeuni de vingt-cinq ans. »

Ne soyons donc pas étonné qu'il y pense si souvent, et rete- nons ceci, que ces réflexions ne lui viennent pas dans ses moments de maturité. 11 y a toutes sortes d'illusions juvéniles. M. Vandérem s'imagine que la philosophie doit être une com- munication avec l'au-delà, et il lui demande les mêmes services -qu'à l'enquête de VOpinion : Les morts vivent-ils ? Ce n'est pas cela du tout. Le philosophe est, depuis Socrate, un homme en communication avec l'en-deça, si je puis dire, c'est-à-dire avec son monde intérieur, et qui cherche, et qui trouve, dans ce monde intérieur. Un être aux moyens limités, un faible humain, d'accord, mais ces faibles humains réunis en société sont bien forts ; le bon élève dont vous parlez, celui dont vous .admettez que ce soit un esprit supérieur, il ne va pas plus à la philosophie avec la seule faiblesse de ses moyens individuels que l'ingénieur ne va à ses machines avec la seule ressource de ses dix doigts. Il est appuyé sur les vingt-cinq siècles de travail philosophique qu'il va tâcher de continuer, comme l'ingénieur est appuyé sur l'acquis du machinisme, de l'outillage et des calculs humains. Et, à moins d'être fou, il n'assumera pas « la charge de dévoiler tous les mystères de notre destinée », de « dire le mot de toutes les énigmes ». Il parlera de quelques- unes pour dire ce qu'on en sait, ce qu'on en ignore, ce qu'on en pourrait peut-être savoir..., comme M. Vandérem et moi par- lons de matières littéraires. Qiie dirions-nous, l'un et l'autre, si un olibrius, un occiseur d'innocents, nous rencontrant sur le bou-

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