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-CHRONIQUE DRAMATIQUE 731

tes (ïUbu-Roi, écrit par Jarry quand il avait quinze ans, et qui est avant tout une farce et n'est que cela. C'est toutefois une farce qui a sa portée et sa signification et ce n'est pas un signe négli- geable que le nom d'Ubu soit entré dans la langue comme le synonyme de l'imbécile épais et prétentieux. Ubu-Roi est à lui seul tous les bouffons de la société humaine. C'est le person- nage officiel étalant son importance et sa niaiserie. C'est le magistrat en costume de carnaval qui juge sans scrupules. C'est le discoureur civique qui abuse les foules et se fait un tremplin de leur crédulité. C'est le bon citoyen qui l'écoute bouche bée et réalise lui-même sa propre duperie. C'est le naïf, éternelle victime de son aveugle docilité, qu'entraînent un roulement de tambour et un claquement de drapeau et qui court se faire trouer la « gidouille » pour le grand profit de plus malins que lui. C'est le petit boutiquier, le petit employé, qui gobent comme paroles d'évangile les plaisanteries qu'ils lisent chaque matin dans les journaux. C'est le romancier genre M. Paul Bourget, avec ses romans solennels destinés à améliorer la race, la société, la mo- rale et la politique. C'est... C'est en un mot la bêtise bourgeoise universelle dans toutes ses manifestations odieuses et grotes- ques, cruelles et poltronnes et contre laquelle rien ne prévaut que le rire et le mépris. Cette nouvelle édition qui vient de paraître d' Ubu-Roi permettra de relire cette énorme bouffon- nerie souvent pleine de traits si humains. On l'a augmentée de dessins de l'auteur et d'une intéressante préface du docteur Jean Saltas, qui nous raconte les derniers jours d'Alfred Jarry dont il fut l'ami et le collaborateur. J'ai souvent pensé que les gens qui ont connu Alfred Jarry de très près devraient écrire leurs souvenirs sur lui. D'ici quelques années personne ne restera l'ayant connu et cette curieuse figure littéraire n'aura pas sa biographie exacte. On trouvera également aux dernières pages de cette nouvelle édition la fameuse Chanson du Décervelage que tout un cénacle littéraire savait par cœur et chantait aux environs de 1896. Où est-il ce temps que, traversant Paris sur l'impériale de Clichy-Odéon, tout le Mercure, en la personne de son directeur, accompagné de Madame Rachilde, de Jean de Tinan, Henry de Bruchard, Christian Beck, Fanay 2aessinger, Jarry lui-même et le signataire de ces lignes,

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