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68 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

la vie. En même temps, le passé, le futur se rapprochaient dans sa conscience, comme les deux jours qui, sous le voile bleu des nuits de juin, se rejoignent et se serrent les mains. Une brise odoriférante soufflait de sa rêverie sur sa mé- moire : tout s'y transfigurait. Jamais, non, jamais (ou bien était-ce un de ces mauvais songes où le péché vient sans qu'on l'aperçoive ?) — jamais il n'avait cru à ces infamies que des infâmes disent de l'amour ; — jamais il ne s'était battu au coin de la borne avec un menteur ; — jamais plus il ne s'avilirait dans l'action ou la pensée.

Entre ses souvenirs embellis et ses projets illuminés, il allait, vertigineux et tendre, comme une petite fille gâtée entre deux grands frères.

Le jour de son anniversaire, au soleil de midi, Victor, arrivant de l'école, rencontra Crépuscule qui causait inti- mement, affectueusement, avec Frédéric Cantin.

��II

��Sa stupeur fut telle qu'il s'arrêta et que sa figure devint rouge somibre.

— Hypocrite ! criait une voix en lui. Menteuse ! Salope !

Il se raidit. Crépuscule semblait vouloir élever son regard de nonchalance et de douceur. Quant à Frédéric, il accor- dait â Victor à peu près la même attention qu'à un réver- bère. Le jeune garçon se contraignit à marcher, à jouer le mépris. Sa rougeur le dénonçait, il le comprenait et rou- gissait davantage. Une crampe insupportable lui tordait les- genoux. Il eut peur de tomber, il attacha les yeux sur l'aca- cia feuillu de lumière ; mais à deux pas de ses bourreaux, le courage lui manqua : il traversa la rue.

Il fût mort, croyait-il, d'indignation, de chagrin, de honte, s'il avait vu une raillerie aux lèvres de Crépuscule. Pourtant elle et Frédéric s'expliquèrent vite ce mouvement

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