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734 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

toute discussion ; ce qui rend les polémiques moins nécessaires qu'on ne croit. Ainsi s'atténue mon regret d'abréger ici une étude que j'aurais voulue plus complète : à moins d'opposer livre à livre, le critique peut tout juste indiquer au lecteur quelque face de l'objet, qu'il craint de lui voir négliger.

Contre la Guerre, Alain s'épargne de redire tout ce que d'autres ont bien dit. Les grandes visions de souffrance et de mort, il les suppose assez présentes à nos mémoires pour que peu de mots, au passage, suffisent à les réveiller. Son grand effort est d'insister sur « cette contrainte militaire que chacun voudrait bien oublier, parce qu'elle déshonore la guerre » : il y a d'abord ceci, que, dans l'abolition des libertés civiles, l'impor- tance et la sottise et la tyrannie ont beau jeu ; il semble qu'Alain n'ait vu, dans toutes les actions des chefs, que l'orgueil de commander et non le zèle à bien servir. Laissons chacun estimer d'après sa propre expérience jusqu'à quel point la raison et la dignité froissées justifient la rancune du soldat mécontent. Voici qui doit nous troubler davantage : convaincu que les conflits d'intérêt ne sont que l'occasion des guerres, les causes profondes étant « dans les passions, et presque toutes nobles », Alain tient à cœur de prouver que la noblesse des causes dispa- raît toute dans l'effet ; ce soulèvement d'enthousiasme aboutit à « un massacre mécanique, où la force morale ne s'emploie jamais à choisir, mais toujours à supporter ». « Le devoir, dans le sens plein du mot, suppose une délibération à part soi, dont tout dépend, sans aucune contrainte » ; or ici « tous sont forcés ; il 5^ en a seulement un bon nombre qui courent plus vite que le gendarme ne les pousse », tout le s5'stème étant monté de telle sorte qu' « il n'y a d'échappée que contre l'ennemi ». « Comment savoir si la bonne volonté suffirait à ces actions sublimes quand toutes les précautions sont prises pour le cas où elle manquerait? » Là même où cette volonté s'affirme à voix claire et haute, assez de motifs mêlés expliquent un mensonge involontaire, mensonge aux autres et à soi. Un seul motif y suffirait : « Nul ne se battrait pour un différend entre nations, au lieu que n'importe quel homme se battra pour prouver qu'il n'est pas un lâche... Il s'agit de prou- ver, publiquement et solennellement, qu'on sait mourir. »

Ici, le but est sûrement dépassé. Il n'est pas vrai que les

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