Page:NRF 17.djvu/768

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

7^2 LA. NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

Pour moi, si j'ai toujours préconisé un métier patient et sur- veillé, j'ai aussi fréquemment indiqué la sensation comme seul ■élément excitateur. Si j'ai fait sur l'œuvre de Delacroix les réserves que mes convictions techniques m'imposaient, j'ai tou- jours placé bien haut l'homme au cœur vibrant, à l'âme élevée que fut ce dernier rejeton de la grande famille des huma- nistes de la Renaissance. Delacroix, au point de vue humain, doit demeurer notre modèle, lui qui ne craignait pas de se com- promettre en écrivant, en plus de son copieux journal et de ses longues lettres, des articles sur son art ; qui recherchait la société des littérateurs et des musiciens pour leur littérature et pour leur musique — et non par politique, comme cela se fait aujour- d'hui — qui frémissait aux souffles venus du dehors^ et qui s'inspirait (à la façon dont on s'inspirait de son temps, c'est-à- dire : littéralement) des événements qui bouleversaient les esprits. Que les artistes qui veulent donner au mot « Classi- cisme » un sens large et généreux cessent de flatter le public peureux en ornant leurs toiles de baigneuses aux gestes inutiles, en spéculant sur le compotier, la bouteille et les pommes de Cézanne, ou en « construisant » des pa\'sages où tout le monde s'est promené. Qu'ils essaient d'acquérir, fût-ce au prix d'erreurs momentanées, ou de chutes (jamais inutiles) cette « intelligence universelle » que chantait Baudelaire. Aussi bien en ce Salon les œuvres les plus riches d'avenir sont celles qui s'inspirent directement de la réalité : repas, devant une fenêtre, de pay- sans lourds (Salle n° 2) ; nature-morte où des instruments maritimes encadrent un phare lointain ; draperies que magnifie une analyse patiente ; jeune fille endormie sous des arbres (Salle n° 7) ; extravagances poétiques du Carnaval (Salle n° 17), autant de toiles où la réalité n'est pas froidement suivie dans son contour décoratif, mais revêt aux yeux de l'intelligence sen- sible des formes nouvelles, qu'une ardente géométrie brise, pour les recomposer en un bouquet expressif.

ANDRÉ LHOTE '

��*

  • *

�� �