NOTES 10 1
constructions arbitraires '. A la vérité, le génie d'une langue est une contrainte invisible plus générale, qui embrasse et limite toutes les autres ; quand l'imagination des législateurs ou la présomption des poètes rebelles s'aventure au-delà, elle se perd dans le néant des systèmes gratuits.
Mais sans doute M. Paul Valéry n'est-il pas, au fond, très éloigné de cette manière de voir. S'il s'est efforcé de justifier la prosodie traditionnelle par d'autres raisons que celles qu'on met -en avant d'habitude, c'est peut-être qu'il a craint, en prenant ces dernières à son compte, de piquer trop mollement l'attention des esprits prévenus en faveur de la nouveauté et qu'on ne con- vainct guère sans les déconcerter d'abord.
Ce qu'il avance touchant l'heureux effet d'une discipline acceptée nous remet en mémoire le vers de La Motte, que le poète des Odes et du Serpent aurait mauvaise grâce à renier :
Dans la contrainte ri^^oiireuse Où l'esprit semble resserre, Il acquiert cette force heureuse Qui l'élève au plus haut degré. Telle dans les canaux, pressée Avec plus de force élancée, L'onde s'élève dans les airs...
Certes, le poète qui suit la règle classique ne peut pas tout dire, mais tout n'a pas besoin d'être dit et la plus stricte con- trainte offre bien moins de dangers que la faculté de tout dire. 'Nul ne saurait se flatter de nous rendre la sensation dans sa fraîcheur originelle, de transporter la nature telle quelle dans une œuvre d'art, sans tomber dans un réalisme ou dans un impressionnisme qui n'ont bientôt plus rien d'humain. La poé- sie, comme la peinture, est art d'imitation, et de même que le plaisir de l'imitation est plus vif quand celle-ci est obtenue par les moyens les plus imprévus, ainsi le plaisir d'une expression achevée est le plus délicat et surtout le plus durable. L'art suprême est justement de ressusciter dans l'esprit du lecteur cette féerie intérieure de la conception qu'il faut bien renoncer à projeter telle quelle sur le papier.
I . Encore les habiles au bridge sont-ils fondés à penser que leur jeu favori a aussi son génie propre.
�� �