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doit être un esprit médiocre. Telle est la conviction de ma quarantaine. J’ai quarante ans ; or, quarante ans, c’est toute la vie. Il est inconvenant, bas, immoral de vivre plus de quarante ans ! Qui vit plus de quarante ans ? — Répondez-moi sincèrement, honnêtement. Je vous le dirai, moi : les imbéciles et les chenapans. Je dirai cela en face à tous les vieillards, à tous ces vieillards à la chevelure argentée et parfumée. Je le dirai en face à tout l’univers. J’ai le droit de le dire parce que je vivrai moi-même jusqu’à soixante ans, jusqu’à soixante-dix ans, jusqu’à quatre-vingts ans. Attendez, laissez-moi reprendre souffle ! »


III

En effet, dès le début il faut s’arrêter et reprendre souffle. Et ces mots pourraient servir de conclusion à chacun des chapitres qui suivent : laissez-moi reprendre souffle. Dostoïevsky lui-même et son lecteur ont la respiration coupée par l’élan fougueux, sauvage de ces pensées « nouvelles ». Il ne comprend pas ce qu’il éprouve, et pourquoi ces pensées. Sont-ce même des pensées ? A qui adresser ces questions ? à ces questions nul ne peut répondre ; ni les autres, ni Dostoïevsky lui-même ne peuvent être certains que ces questions puissent être même posées, qu’elles aient une signification quelconque. Mais il est impossible aussi de les écarter et il semble même parfois qu’il ne faille pas les écarter. Relisez cette phrase, par exemple : « L’homme du XIXe siècle doit être un individu sans caractère ; l’homme d’action doit être un esprit médiocre ». Est-ce une conviction sérieuse ou bien un assemblage de mots vides de sens ? A première vue cela ne fait même pas question — des mots ! Mais permettez-moi de vous rappeler que Plotin (dont Dostoïevsky, je crois, n’avait jamais entendu parler) émet la même pensée, bien que sous une autre forme. Lui aussi affirme que l’homme d’action est toujours médiocre,