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je tâchais de me tranquilliser. Car je n’ai jamais perdu ma confiance en toi : je crois que tu m’aimes et que tu ne m’as pas oublié.

Je t’ai écrit une lettre par l’intermédiaire de notre état-major. Elle a dû certainement te parvenir. J’attendais une réponse et je n’ai jamais rien reçu. Se pourrait-il qu’on t’eût défendu de m’écrire ? Mais cela est permis ! Tous les condamnés politiques reçoivent ici plusieurs lettres par an. Doura en recevait souvent. Maintes fois, sur la demande des autorités locales, l’autorisation accordée aux condamnés politiques de correspondre avec leurs parents a été confirmée. Mais je crois avoir deviné la véritable cause de ton silence : c’est ton apathie naturelle. Tu n’auras pas jugé utile d’aller à la préfecture de police, ou, si tu y es allé, tu te seras contenté de la première réponse négative d’un employé peu au courant, peut-être, des règlements. Tu m’as fait beaucoup souffrir… S’il ne peut même pas faire des démarches pour obtenir le droit de m’écrire, pensais-je, il se souciera bien moins encore de solliciter pour obtenir quelque faveur plus importante !… Écris-moi, réponds-moi le plus tôt possible, n’attends pas une occasion, écris-moi d’abord officiellement, mais une lettre détaillée, étendue.

Je suis comme un membre retranché de notre famille et je voudrais y reprendre ma place. Ne le pourrai-je donc pas ? Les absents ont toujours tort. Sera-ce donc vrai, même pour nous ? Non, n’est-ce pas ? Je puis avoir confiance en toi !

Voilà déjà huit jours que je suis libéré des travaux forcés[1]. Je t’envoie cette lettre sous le secret le plus absolu, ne la communique à personne. Je t’enverrai aussi une lettre officielle par l’intermédiaire de l’état-major de l’armée de Sibérie. À cette dernière lettre tu répondras immédiatement et à la présente dès que tu auras une occasion favorable. En tous cas, et cela dans la lettre officielle, il faut que tu me racontes dans tous leurs détails les principaux événements de ta vie durant ces quatre années. Pour moi, je voudrais t’envoyer des volumes ! mais c’est à peine si j’aurai le temps nécessaire pour t’écrire cette lettre. Je ne te dirai donc que le plus important.

« Important ! » Eh ! que s’est-il passé d’important pour moi

  1. Le 11 février 1854.