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Page:NRF 18.djvu/170

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la première infraction il nous ferait infliger un châtiment corporel. Il était major de place depuis deux ans et commettait au su et vu de tous des injustices criantes. Il passa en justice deux ans plus tard. Dieu m’a préservé de cette brute ! Il arrivait toujours ivre (je ne l’ai jamais vu autrement), cherchait querelle aux condamnés et les frappait sous prétexte qu’il était « saoul à tout casser ». D’autres fois, pendant sa visite de nuit, parce qu’un homme dormait sur le côté droit, parce qu’un autre parlait en rêvant, enfin pour tous les prétextes qui lui passaient par la tête, nouvelle distribution de coups : et c’était avec un tel homme qu’il fallait vivre sans attirer sa colère ! et cet homme adressait tous les mois des rapports sur nous à Saint-Pétersbourg.

J’avais fait connaissance avec les forçats à Tobolsk.

À Omsk, je devais rester avec eux quatre années entières !

C’est un peuple grossier, irrité et exaspéré que celui-là ! Sa haine pour les nobles dépasse toute mesure. Aussi, en notre qualité de nobles, nous accueillit-on avec une joie féroce. Ces malheureux nous auraient dévorés si on le leur avait permis. Du reste juge toi-même quelle défense nous pouvions avoir contre des gens avec lesquels il nous fallait vivre, boire, manger et dormir des années durant et qui, à la moindre de nos plaintes, répondaient par des torrents d’injures. — « Vous autres les nobles, becs de fer, vous nous écrasiez… Des messieurs, vous autres, et vous torturiez le peuple, et maintenant vous voilà pris, vous voilà pareils au dernier des derniers, pareils à nous-mêmes. »

Voilà leur thème !… Et pendant quatre ans ces deux cent cinquante bourreaux ne se lassèrent pas de nous tourmenter. C’était leur consolation, leur plaisir ; cela les occupait. Si nous leur avons échappé, c’est par l’indifférence, par la supériorité morale qu’ils ne pouvaient comprendre mais qu’ils subissaient et parce que nous ne cédions jamais devant eux. Ils avaient toujours conscience qu’ils nous étaient inférieurs. Ils ignoraient les motifs de notre peine ; nous nous taisions à ce sujet, préférant subir leur haine. Mais nous étions très malheureux. Le régime militaire des travaux forcés est plus dur que le civil.

J’ai passé ces quatre ans derrière un mur, ne sortant que pour être mené aux travaux. Le travail était dur. Il m’est arrivé