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Nous devons nous méfier, nous français, de notre tendance à simplifier, à réduire au même dénominateur. Mais pour peu que nous soyons en garde contre elle et que nous ne la laissions jamais prendre le pas sur la complication du réel, elle peut nous faire apercevoir des enchaînements qui eux aussi sont du réel, et font partie de la nature psychique.

Car enfin l’être humain, si particulier soit-il, tant qu’il n’est pas fou, et peut-être même lorsqu’il l’est, — l’être humain n’échappe jamais dans son fond à une certaine logique. D’une action à l’autre il se retrouve ; il peut agir sans cesse contre la raison, et pourtant obéir à une certaine idée. Prenons des mots plus vagues : à une certaine disposition, à un certain pli de son cerveau qui est comme le moule de toute sa vie spirituelle. Et même lorsqu’il se contredit, qui peut affirmer, tant qu’il ne l’a pas analysée, que cette contradiction soit autre chose que la réfraction, par les événements, d’une tendance simple ?


Plutôt que d’égarer l’esprit vers un infini psychologique, on peut très bien concevoir que la tâche du romancier soit de le ramener, par la seule continuité de ses peintures, vers cet événement secret, mais concret et connaissable. L’effort de sa raison peut fort bien l’aider dans sa représentation de la vie. Il peut, en le dessinant, rechercher la loi d’un individu sans tomber pour autant dans l’abstraction ni dans le schématisme. Sa patience, son instinct des résistances auront ici la plus grande importance. Mais s’il en est doué, en même temps que de ce que j’appellerai la faculté d’adhérence aux intuitions, il pourra produire une œuvre qui dépassera, en profondeur même, tout ce que l’aventureux génie de Dostoïevski a pu fonder. Car en psychologie, il faut que je me permette de le redire encore, la véritable profondeur, c’est celle qu’on explore.

JACQUES RIVIÈRE