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l8o LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

dans sa niche. Labiche et Daudet se sont insinués, tôt, dans mon enfance heureuse, maîtres condescendants qui jouent avec un élève familier. Mérimée vint en même temps, séduisant et dur, et qui éblouit parfois mes huit ans d'une lumière inintelligible. Les Misérables aussi, oui, les Misérables, — malgré Gavroche ; mais je parle là d'une passion raisonneuse, qui connut des froideurs et de longs détachements. Point d'amour entre Dumas et moi, sauf que le Collier de la Reine rutila, quelques nuits, dans mes songes, au col condamné de Jeanne de la Motte. Ni l'en- thousiasme fraternel, ni l'étonnement désapprobateur de mes parents n'obtinrent que je prisse de l'intérêt aux Mous- quetaires..,

De livres enfantins, il n'en fut jamais question. Amou- reuse de la Princesse en son char, rêveuse sous un si long croissant de lune, et de la Belle qui dormait au bois, entre ses pages prostrés ; éprise du Seigneur Chat botté d'en- tonnoirs, j'essayai de retrouver dans le texte de Per- rault les noirs de velours, l'éclair d'argent, les ruines, les cavaliers, les chevaux aux petits pieds de Gustave Doré : au bout de deux pages je retournais, déçue, à Doré. Je n'ai lu l'aventure de la Biche, de la Belle, que dans les fraîches images de Walter Crâne. Les gros caractères du texte cou- raient de l'un à l'autre tableau comme le réseau de tulle uni qui porte les médaillons espacés d'une dentelle. Pas un mot n'a franchi le seuil que je lui barrais. Où s'en vont, plus tard, cette volonté énorme d'ignorer, cette force tranquille employée à bannir et à s'écarter ?...

Des livres, des livres, des livres... Ce n'est pas que je lusse beaucoup. Je lisais et relisais les mêmes. Mais tous m'étaient nécessaires. Leur présence, leur odeur, les lettres de leurs titres et le grain de leur cuir... Les plus herméti- ques ne m'étaient-ils pas les plus chers ? Voilà longtemps que j'ai oublié l'auteur d'une Encyclopédie habillée de rouge, mais les références alphabétiques, indiquées sur chaque tome, composent indélébilement un mot magi-

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