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MA MÈRE ET LES LIVRES - 183

l'index un Zola intégral, massif, accru périodiquement d'alluvions jaunes.

— Maman, pourquoi est-ce que je ne peux pas lire Zola ?

Les yeux gris, si malhabiles à mentir, me montraient leur perplexité :

— J'aime mieux, évidemment, que tu ne lises pas cer- tains Zola...

— Alors, donne-moi ceux qui ne sont pas « certains » ? Elle me donna la Faute de l'Ahbé Moitret, et le Docteur

Pascal, et Germinal. Mais je voulus, blessée qu'on ver- rouillât, en défiance de moi, un coin de cette maison où les portes battaient, où les chats entraient la nuit, où la cave et le pot à beurre se vidaient mystérieusement, — je voulus les autres. Je les eus. Si elle en garde, après, de la honte, une fille de quatorze ans n'a ni peine ni mérite à tromper des parents au cœur pur. Je m'en allai au jardin, avec mon premier livre dérobé. Une assez douceâtre his- toire d'hérédité l'emplissait, mon Dieu, comme plusieurs autres Zola. La cousine robuste et bonne cédait son cousin aimé à une malingre amie, et tout se fût passé comme sous Ohnet, ma foi, si la chétive épouse n'avait connu la joie de mettre un enfant au monde. Elle lui donnait le jour soudain, avec un luxe brusque et cru de détails, une minutie anatomique, une complaisance dans la couleur, l'odeur, l'attitude, le cri, où je ne reconnus rien de ma tranquille compétence de jeune fille des champs. Je me sentis crédule, effarée, menacée dans mon destin de petite femelle... Amours des bêtes paissantes, chats coiffant les chattes comme des fauves leur proie, précision paysanne, presque austère, des fermières parlant de leur taure vierge ou de leur fille en mal d'enfant, je vous appelai à mon aide. Mais j'appelai surtout la voix conjuratrice :

— Quand je t'ai mise au monde, toi la dernière, Minet- Chéri, j'ai souffert trois jours et deux nuits. Pendant que je te portais, j'étais grosse comme une tour. Trois jours, ça

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