Page:NRF 18.djvu/212

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

206 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

presque sacrées, d'une langue aussi belle que n'importe quelle page française, et qui tient à notre mémoire, ainsi qu'une giro- flée à un mur, aussi bien que les plus beaux vers. Fleurs contient les mêmes musiques. Il faut bien du parti-pris pour trouver inintelligibles des poèmes qui sont la lumière même (il est vrai que c'est une question d'habitude, et que les critiques d'art ont longtemps estimé absurdes les tableaux impressionnistes qui étaient tout en valeurs de lumière). Dès qu'on a compris ce parti-pris naturel de Rimbaud, cette optique de l'homme des routes, cette faculté d'évoquer partout des spectacles intérieurs, de planter sur tous les prés sa tente de pourpre et son cirque ambulant, on ne trouve presque aucune difficulté dans les Illu- minations.

Les Illuminations ont eu une postérité. J'ai nommé tout à l'heure Jarry. Mais Connaissance de l'Est relève directement de Rimbaud, et, aussi, bien des passages de M. Luc Durtain. Rim- baud aura laissé dans la littérature, au même titre que des poètes plus grands que lui, une manière originale de sentir la nature. Tellement unique chez lui qu'il put croire lui-même de bonne foi à la pure folie des Illuminations, avoir honte de son livre et en vouloir détruire l'édition. Il a été justifié lorsqu'il a trouvé son public, lorsque sa sensibilité a passé dans d'autres sensibi- lités. Les résistances qu'il a rencontrées sont, jusqu'à un cer- tain point, analogues à celles qu'a rencontrées Baudelaire. La poésie de Baudelaire, c'est essentiellement cette découverte que l'homme d'une grande capitale n'est pas l'homme de la nature, et qu'il comporte une poésie originale, différente, et même ennemie, delà poésie de la nature. La découverte de Rimbaud, ou plutôt celle que nous faisons en lisant Rimbaud, c'est que l'homme en mouvement n'est pas l'homme au repos, que s'il y a une poésie de l'homme en mouvement, elle doit être fort différente de la poésie de l'homme au repos, ne pas être faite avec des extraits du repos, des vues sur le repos, mais porter sur un monde senti et repensé à neuf. A une époque où le cinéma est roi, oi^i la physique et la métaphysique sont transformées par ce point de vue du mouvement, il n'est pas étonnant que cette littérature attire notre attention et exerce une influence. Ceux qui se scandalisent et lèvent les bras au ciel en verront bien d'autres. albert thibaudet

�� �