Page:NRF 18.djvu/219

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

CHRONIQUE DRAMATIQUE 21 3

maison, qui m'appelleront leur papa quand je reviendrai de la ville et me diront de petites folies les plus agréables du monde ! » Ce sont depetits détails charmants. Et rappelez-vous la réflexion qu'il se fait à lui-même sur son union : « Mon mariage doit être heureux, car il donne de la joie à tout le monde et je fais rire tous ceux à qui j'en parle ». C'est du meilleur comique.

« Dorimène paraît. Cette belle fille est impatiente d'échapper à la pauvreté et aux brutalités de la maison paternelle et ne s'inquiète guère d'examiner le mari qu'on lui donne. Elle pense bien être la maîtresse dans la maison de ce mari. Cela lui suffit. Elle va se « donner du divertissement et réparer comme il faut le temps perdu ». Quant à Sganarelle, qui n'a jamais été à pareille fête, il s'extasie sur son bonheur : « Vous allez être à moi delà tête aux pieds, et je serai maître de tout, de vos petits yeux éveillés, de votre petit nez fripon, de vos lèvres appétis- santes, de vos oreilles amoureuses, de votre petit menton joli... » L'imbécile ne voit pas que plus ces petits yeux sont éveillés, plus vite ils découvriront ses cinquante-deux ans cachés sous sa perruque, que plus sa femme promènera son petit nez fripon moins elle restera à la maison. (Ju'a-t-il à faire de ses lèvres appétissantes et pense-t-il qu'elle tendra ses oreilles amoureuses à l'écouter ? Il y a dans tout ce dialogue entre Sganarelle et Dorimène une gaieté et une sagesse qu'on ne saurait trop applaudir. Sganarelle, ébloui, veut encore prendre conseil du prudent Géronimo. Trop tard ! Celui-ci sait à quoi s'en tenir. Il le renvoie au seigneur Pancrace, Aristote-Pancrace, comme l'appelle Sganarelle pour se faire écouter de lui.

« Nous ne voyons plus aujourd'hui, dans cette scène du doc- teur Pancrace, qu'une scène de comédie. Au temps de Molière, c'était un acte de courage. La philosophie de Descartes mettait dans les esprits ses premières lumières. L'Université, qui ne voyait que par Aristote, s'inquiétait des progrès de la doctrine nouvelle et s'agitait pour faire remettre en vigueur un arrêt qui défendait, sous peine de mort, d'enseigner aucune doctrine contraire à celle d'Aristote. La philosophie de Descartes trou- vait ainsi un premier appui dans Molière, comme elle devait en trouver un, plus tard, dans Boileau. Et l'important, c'était que cette comédie du Mariage forcé était jouée en plein Louvre, devant le roi, et applaudie par lui. Il était impossible de se

�� �