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LA CONTAGIEUSE MISÈRE


Une des idées probablement les plus vieilles du monde sur le commerce et les échanges est qu’on fait fortune en mettant les autres en misère. La vente a eu la même psychologie que le vol. Pressurer le vaincu, le débiteur, le client jusqu’à ce que rien ne lui reste a permis l’axiome : « Le malheur des uns fait le bonheur des autres. » Ce vieil esprit du vol, de la guerre et de la chasse, qui croit qu’on n’est enrichi que par ses victimes, a déjà été très atténué dans l’emploi et la rétribution des ouvriers. Les épuiser de travail en les payant le moins possible, sans s’occuper du soin de conserver leurs forces, fut une pratique longtemps considérée comme très fructueuse pour l’employeur. La dégradation de la santé des ouvriers par la liberté d’en tirer profit sans restriction parut ensuite un état ruineux pour la nation. L’ère des lois sociales commença. Le même phénomène s’accomplit actuellement entre le commerçant et le client. Enrichir, prolonger l’homme à qui l’on vend paraît plus fructueux que de l’épuiser à misère. Dans une civilisation commerciale, être impitoyable à l’acheteur cause la ruine du fabricant, du vendeur. Le matérialisme historique aboutit à la justification de la pitié. Les conséquences de la guerre 1914-1918 prouvent l’absurdité de vouloir établir la fortune d’une partie du monde sur la ruine de l’autre. La démonstration de la solidarité universelle est faite d’une manière énorme, non par l’intelligence des hommes qui ne se montrent capables que de la subir et l’exprimer à mesure qu’ils la comprennent, mais par une fatalité maté-