Aller au contenu

Page:NRF 18.djvu/328

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

RÉFLEXIONS SUR LA LITTÉRATURE

��LE ROMAN DU PLAISIR

On a médité souvent et tristement sur la mort des livres. Le passé nous y invite, et nous modelons l'avenir à son image. Le naufrage de tant d'oeuvres grecques et latines nous paraît annon- cer un destin pareil à nos littératures modernes ; l'usure du papier, les révolutions futures, le dégoût possible de la lecture et de l'écriture, nous sont représentés, par nos bibliothécaires, bibliophiles, bibliomanes, bibliophagesoubibliophobes, comme des périls vraisemblables. Habcnt sua fata lihclli. Et pourtant, s'ils sont sujets aux coups des divinités mauvaises, il me sem- ble que, tout compte fait, le génie immanent de la terre attache à leur conservation une valeur précieuse, étend sur eux une aile presque miraculeuse. Nous avons gardé, après tout, la plus grande partie des chefs-d'œuvre admirés des anciens, et, quand on songe aux chances de destruction, on imagine qu'il a fallu vraiment qu'ils fussent conduits jusqu'à nous, comme le jeune Tobie, par la main d'un ange. L'ange gardien des livres (certains penseront peut-être que c'est un diable) n'a pas fini de veiller sur eux et il leur fera peut-être traverser despasplus dangereux. Le jour oià l'espèce humaine aurait terminé sa mission et transmis à d'autres êtres la charge de figurer l'avant-garde à la pointe de la vie ter- restre en marche, il est probable que cesêtres trouveraient moyen de recueillir l'héritage de nos livres, et qu'ils rêveraient, sur ces livres, à l'humanité, comme nous imaginons la vie d'Athènes et de Rome entre les feuillets de Platon ou d'Horace.

Ils trouveraient dès lors dans nos livres, et bien mieux encore que nous, ce que nous y trouvons nous-mêmes : une grande fa- brique d'illusion. Les livres à vrai dire ne nous trompent jamais complètement sur nous, parce qu'en même temps que nous les lisons nous nous sentons vivre, et que nous savons corriger con-

�� �