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la pierre, puis offre l’appui de sa main à la jeune femme. L’ombre d’un chapeau de lingerie ne laisse apercevoir ni le front ni les yeux, mais la faible lumière du quinquet durcit le dessin d’un nez qui peut passer pour spirituel et d’une bouche aux coins de laquelle les années ont mis un premier avertissement.

— Alors vous ne voulez pas dire ce qui vous rend si rêveur ?

Vernois commence posément :

— C'est bien Mme Heuland, n’est-ce pas, qui signe ses lettres d’un C souligné d’une barre ?

— Mon Dieu, vous aurait-elle écrit ?

— Quand un de nos camarades tombait, nous étions bien forcés de trier les papiers qui traînaient dans ses poches ou dans sa cantine. Il y a beaucoup de lettres qu’il valait mieux ne pas renvoyer aux familles. Vous savez la manie qu’avait Heuland de ne rien jeter. J’ai dû dépouiller de vraies liasses, car sa dernière permission remontait bien à trois mois. Beaucoup de lettres de sa femme… beaucoup d’autres aussi.

— Écrites… par qui ?

— Par une femme. Pas signées d’ailleurs. D’une écriture couchée, un peu anguleuse.

— Vous avez bien fait d’épargner aux siens cette révélation. Personne ne le croyait capable d’une folie.

— Vous estimez que rien n’a transpiré ? que ni Mme Heuland ni sa famille n’ont eu le moindre vent de l’aventure ?

Mme Heuland ne me fait pas ses confidences, mais la manière dont elle cultive ses souvenirs prouve qu’elle n’a jamais douté de son bonheur. Quant à ses sœurs, qui l’ont toujours jalousée (elles ne lui pardonnent pas de s’être mariée, alors qu’elles, les aînées, montaient en graine) soyez sûr que le moindre soupçon elles l’auraient exploité contre leur beau-frère.

Il suffit d’un regard intéressé pour la faire poursuivre :

— Si vous saviez les airs que prenait cette famille à