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Page:NRF 18.djvu/438

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— Je vous en prie, Mademoiselle…

— Et puis, même sans fortune, on peut la trouver agréable. Elle a la peau très blanche, des yeux allongés qui lui donnent un air un peu brebis… D’ailleurs convenez que ce grand étalage de deuil ne laisse pas d’être déplacé, si ce que vous venez de raconter est bien exact.

— Oh, parfaitement exact, n’en doutez pas. Rappelez-vous d’ailleurs qu’Heuland, qui n’était pas avare, l’était particulièrement peu de ses confidences. Quand on n’a plus rien à se dire depuis trois ou quatre mois, et qu’on n’aime pas le silence, il faut avoir une discrétion bien ombrageuse pour ne jamais ouvrir la bouche sur un sujet auquel on pense continuellement. Reconnaissons qu’Heuland n’était pas discret jusqu’à ce point-là. Et puis, Mademoiselle, dans un terrier où l’on écrit à deux ou trois, assis sur la même paillasse, il faudrait se couvrir les yeux d’un mouchoir pour ne pas remarquer les noms qui chaque jour reviennent sur les enveloppes des voisins.

Mlle Gassin redresse la tête si brusquement que Vernois craint d’avoir tout gâté ; mais il voit se dessiner un sourire où il y a du cynisme et de l’amertume.

— Après tout, dit-elle, je ne regrette pas qu’un homme tel que vous ait pénétré mon grand secret, même s’il doit me juger sévèrement.

— Oh, juger…

— Je ne puis même m’empêcher d’en éprouver une espèce de bonheur. Quand on a le cœur plein d’un sentiment qu’il faut taire, c’est déjà une joie bien rare que d’y entendre faire allusion. En outre, peut-être pourrez-vous me rassurer sur un point qui me préoccupe, en me disant ce que sont devenues ces lettres.

— Soyez tranquille : je les ai brûlées et leurs cendres sont ensevelies sous deux mètres de terre avec des rondins et des rails par-dessus, car l’abri s’est effondré quelques jours plus tard. Mais à mon tour, permettez-moi de vous demander ce qu’il en est du reste de sa correspondance avec