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Même le sous-bois de sapins, vu de là, paraît charmant avec sa vieille table de pierre, et vous comprenez, au premier coup d’œil, qu’il n’y a pas de lieu dans le monde où une lecture semble aussi belle. Et dès que vous entrez dans la maison ! Cette odeur qui n’existe nulle autre part, ces délicieux papiers des murs, dont certains morceaux étaient déjà tombés bien avant notre naissance, de sorte que le plâtre apparaît, formant d’étranges figures et des cartes de géographie où quelquefois s’ajoute un nouveau pays. Et le vieux mobilier où presque rien n’a changé depuis la Révolution, non par goût mais parce que les revenus ont toujours été modestes à Follebarbe : de braves meubles Louis XVI, dont on ne voit presque plus les sculptures tant on les a souvent repeints. Pourquoi est-ce que je vous dis tout cela ? Oui, pour vous expliquer l’humeur du général. C’est là qu’il est né, ainsi que mon père, c’est toujours là qu’il est revenu durant ses congés, dans cette maison qui est à nous depuis le milieu du xviie siècle, où tout est pauvre mais aimable et large, et sent la bonne compagnie. Vous le figurez-vous transporté tout à coup dans l’habitation que mon beau-père avait fait construire à la porte de son usine, parmi ces boiseries, ces tentures de peluche, ces vitraux ? Mes sœurs sont bien drôles quand elles racontent la première visite qu’il vint y faire, lors de mes fiançailles. Il regardait les poufs, les lustres ; il humait toutes ces choses cossues, avec un peu de dégoût, avec un peu de respect tout de même. Il faut vous dire que j’étais l’enfant gâtée et que, pour me savoir à l’abri de bien des difficultés dont ils n’avaient que trop souffert, les miens approuvaient un mariage qu’aucun d’eux n’aurait peut-être accepté pour lui-même. Ils étaient bien contents et en même temps ils n’étaient pas très fiers ; vous comprenez sans que j’insiste. Ils prenaient mon mari par-dessus le marché. Moi, naturellement, tout d’abord je ne voyais rien. J’étais tellement heureuse et de bonne foi. Autour de nous, j’avais vu tant de célibat, tant de vies incomplètes, tant de femmes sans