Aller au contenu

Page:NRF 18.djvu/496

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

lui. Comme la plupart des nationalistes qui ont dépassé la quarantaine, il a commencé par l’anarchie, et il s’est trouvé plus tard encadré dans une jeunesse qui ne commençait pas par l’anarchie. Il attribue une grande importance à l’affaire Dreyfus, qui fut en effet à la France ce que la guerre de 1914 a été au monde : uae coupure décisive. Mais ce que je préfère dans son livre ce sont les expériences personnelles, originales, qui ne se confondent pas avec celles de ses contemporains. Il fait admirablement comprendre comment un séjour en Russie a pu ramener aux idées d’ordre et de construction l’anarchiste qu’il était : ces pages me paraissent même les plus fortes et les plus convaincantes de son livre. Ce qui ne manque pas de singularité, c’est de le voir conduit à la foi chrétienne par le livre de M. Quinton, au grand étonnement de celui-ci qui avait trouvé un disciple si peu chrétien en Rémy de Gourmont. L’explication qu’en donne M. Valois est d’ailleurs fort intéressante. Enfin et surtout la vraie valeur personnelle de cette évolution consiste en ceci qu’elle .a produit une philosophie du travail V6nu£ ’du travail lui-même. M. Valois nous dit qu’il a rêvé d’une vie d’études et qu’il a été contraint à une vie active. Anarchiste tant qu’il a subi cette contrainte, il est devenu homme d’ordre quand la réflexion sur son travail lui a permis de mettre spontanément dans sa pensée l’ordre qu’il mettait nécessairement dans son travail. C’est là une ligne de vie logique, humaine et saine qu’on a plaisir à regarder.

Anarchie et traditionalisme sont deux coups de poing, l’un à droite, l’autre à gauche, sur un ennemi toujours détesté qui s’appelle le libéralisme. « Dans aucun pays, dit M. Valois, un libéral ne peut passer pour un homme bien intelligent. » Pourquoi pas ? Je conviens qu’un pays où il n’y aurait que des libéraux serait un pays bien mou et bien fade. Mais les vrais libéraux, en petit nombre, qui vivent et pensent dans un pays, en assainissent l’atmosphère, la rendent respirable et douce, la défendent contre les dogmatismes, c’est à dire contre les excès de l’orgueil humain. Montaigne, qui est le type du libéral, le direz-vous peu intelligent ?

ALBERT THIBAUDET