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LETTRE DE LÉON NICOLAÏEVITCH À SA FILLE
ALEXANDRA LVOVNA
29 Octobre 1910. Ermitage d’Optino.

… te dira tout sur moi, Sacha, ma chère amie. C’est difficile. Un grand accablement, voilà ce que je ne puis pas ne pas éprouver. Le principal — ne pas pécher — et là est la difficulté. J’ai été un pécheur, je continue de l’être, c’est évident ; mais que je pèche de moins en moins !

C’est cela le principal, ce qu’avant tout je désire pour toi. D’autant plus que, je m’en rends compte, tu as à résoudre un problème horrible, au-dessus de tes forces, à l’âge où tu es. Je n’ai pris aucun parti, je ne veux prendre aucun parti. Tu verras par la lettre à Tchertkov[1], je ne dis pas ce que je pense mais ce que je sens. Je compte beaucoup sur la bonne influence de Tania[2] et de Serioja.

Puissent-ils surtout comprendre et chercher à lui[3] faire entrer dans l’esprit que pour moi cette manière d’être tout le temps à l’affût et aux écoutes, ces reproches incessants, cette façon de disposer de ma personne à sa guise, cette éternelle surveillance, cette haine affectée pour l’homme avec lequel je suis le plus intime et qui m’est le plus nécessaire, cette haine pour moi et cette comédie d’amour — que tout cela, je ne dis pas, m’a rendu la vie désagréable, je dis nettement impossible, et que pour ce qui est de se noyer, ce ne serait pas à elle mais à moi ; que je ne désire qu’une chose — être libéré

  1. Sur Vladimir Grigoritch Tchertkov, voir Correspondance de l’Union pour la Vérité, n° 4, 1er janvier 1911, p. 207. C’est lui dont Tolstoï écrit quelques lignes plus bas qu’il est son ami le plus intime et l’homme qui lui est le plus nécessaire.
  2. Tania, diminutif de Tatiana, fille aînée du Comte. Sérioja, diminutif de Serge, son fils aîné.
  3. À Sophie Andréievna.