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^.8 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

ment et fécondation, et précisément dans ce qui leur est le plus étranger. Les forts ne sont reconnaissants qu'aux impul- sions qu'on leur donne ; ils en veulent à un livre qui les accompagne trop jalousement, qui veille sur leurs pas jusqu'au bout. Ils ne demandent rien de tout élaboré, mais de beaux prétextes au labeur. L'influence à laquelle Gide peut prétendre ressemble à ce qu'en électricité on nomme, si je ne me trompe, courants d'induction. S'il voulait figurer les forces auxquelles il fait appel, il les repré- senterait sans doute par des parallèles plus souvent que par des lignes convergentes. De là son extrême répugnance, dans ses œuvres proprement dites, à démontrer ou à prendre parti. Il sait bien que, si l'art qu'il préfère est fils de l'esprit critique plus que de l'imagination, c'est par les idées que cet art vieillira le plus vite, si elles n'ont pas su se muer en sentiments et en personnages. (Il analyse quelque part très finement le prestige par lequel Stendhal, pourtant si loin de lui, ne manque jamais de le captiver : « Je me refuse sans cesse à Stendhal; je ne ferais que de V ennui de ce dont, lui, fait son plaisir ; pivlongée, sa société me serait mortelle ; mais c'est toujours d'un visage nouveau que me sourient Mosca, Fabrice, et la duchesse... Le grand secret de cette diverse jeunesse, c'est que Stendhal ne veut proprement rien affirmer. »)

Gide sait aussi qu'il faut laisser la porte ouverte à l'ini- tiative des meilleurs lecteurs et que, si quelque chose décourage l'intérêt de la postérité, ce n'est pas les brèches qu'elle peut trouver dans une œuvre, mais bien plutôt sa trop méfiante fermeture. Que d'auteurs ont cru se bâtir des citadelles, qui n'ont fait que s'emmurer, et si étroite- ment que même les pilleurs de tombes ne se sont pas souciés de leur rendre visite. Nulle œuvre moins fortifiée que celle de Gide^ moins close à tous les vents. Nul auteur qui se préoccupe moins de masquer ses points découveris. Sans cesse il offre prise, et si ouvertement que les politi- ciens se croient en présence d'une ruse de plus. Cepen-

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