et nos bons souliers jusqu’à tel service bien organisé ou tel chef intelligent ; et puis il y a les autres, les encombrants, les inutiles, qui ne nous flattent quand tout va bien que pour mieux nous trahir dans les mauvais jours, ceux qui nous ont énervés, découragés, et ceux dont l’inertie pesait sur nous autant que tout notre paquetage. Naturellement, dans une vie plus nuancée, ces jugements paraissent un peu raides, irritants même. Je ne me fais pas d’illusions. Tenez, le fossé où vous avez tout à l’heure cueilli ces brins de menthe, ma première pensée n’a pas été de me demander s’il est propre à faire son office de fossé, mais s’il est assez profond pour qu’on y saute et s’y défile. Vous n’imaginez pas combien notre œil est devenu vif pour remarquer une déclivité de terrain, pour interpréter l’aspect d’une lisière. Jusqu’au ridicule et à la manie. Mais ces déformations d’esprit nous ne les avons pas cherchées ; ce sont des blessures comme les autres, qui ont leur dignité. Qu’on fasse un pas au devant de nous. Ce qui nous aigrit c’est notre solitude.
Il s’arrête brusquement :
— Je vous demande pardon. Je vous parle indéfiniment de moi, sans voir que votre petit homme se pend à votre main. Si on l’asseyait un moment ?
Un tronc tiré d’une clairière voisine est couché sur le bord du chemin. Tout en y installant le bambin, Clymène dit, non sans causticité :
— J’envie les hommes qui savent comme vous cacher leurs sentiments sous un voile de pensées. Vous parlez de déformations d’esprit là où nous avouerions tout de suite des chagrins personnels, et vous dites simplement « solitude ») au lieu que nous raconterions je ne sais quelles histoires d’affection déçue.
Il sourit de se voir si vivement ramené à terre :
— Vous êtes terriblement perspicace. Évidemment il s’agit d’affection…
— Ce n’était pas, dit-elle, une ruse pour vous interroger.