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ANDRÉ GIDE ET SES MORCEAUX CHOISIS 55

du jeu. Mais tant de liberté ne lui est pennise que parce que son art lui fournit un centre de gravité, une certitude, une conscience sereine. Ce n'est pas le lieu de parler de de cet art ; les Morceaux Choisis n'essaient pas d'en donner une idée complète, bien qu'ils en montrent les directives. C'est dramatiser à l'excès l'image de Gide que de ne pas balancer tout ce qui a été dit dans les pages qui précèdent, par une étude de son classicisme. L'un ne va pas sans l'autre, n'est pas intelligible et harmonieux sans l'autre. C'est la certitude esthétique qui a rendu possibles tant de perplexités morales, et celles-ci à leur tour empêchent la sclérose de l'art, lui assurent un perpétuel rajeunissement, font que nous ne cesserons jamais de regarder avec attente vers les nouveaux livres que Gide pourra nous donner. Une langue si mesurée, si claire, si aisée n'implique pas nécessairement une pensée sans trouble, mais elle suppose un calme, une maîtrise de soi, un plaisir au travail qui sont déjà une forme du bonheur. Chez ceux qui ont la passion de leur métier, c'est dans le métier même qu'il faut chercher en dernier ressort le plus certain de leur morale et de leur paix intérieure. A vouloir considérer, en dehors des œuvres qui les enveloppent, les tendances de Gide, on leur prête sans le vouloir quelque chose de tendu, de heurté, qu'elles n'ont point. Je me reprocherais cette trahison si je ne pouvais supposer, chez tous les lecteurs de cette revue, la familiarité avec des paysages pour lesquels cette analyse ne cherche qu'à dresser un plan schématique. Quelques hachures représentent une chaîne de montagnes; elles n'en disent ni la couleur, ni la lumière, ni le climat. Gide veut que l'œuvre d'art soit le dernier refuge du plaisir, et ceux qui détestent le plus sa pensée ne peuvent se défendre de goûter dans ses livres ce qu'il considère comme la lin dernière de l'art :

ordre et beauté, Luxe, cahiie et volupté.

JEAN SCHLUMBERGER

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