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Son regard parcourut la chambre ; mais il ne remarquait pas ce qu’il voyait ; il songeait, mais ne savait certainement pas à quoi. Le silence le réveilla et il lui sembla soudain, que Tikhon, confus, avait abaissé les yeux et qu’il avait même eu un sourire étrange, inutile. Cela souleva immédiatement en lui un dégoût. Il voulut se lever et partir, d’autant plus que Tikhon, à son avis, était complètement ivre. Mais celui-ci leva tout à coup les yeux et le regarda d’un regard si ferme, si chargé de pensée et, en même temps, si inattendu, si énigmatique, qu’il tressaillit presque. Il lui sembla que Tikhon savait déjà pourquoi il était venu, qu’il était déjà prévenu (bien que personne au monde ne pût connaître la raison de sa visite) et que, s’il ne parlait pas le premier, c’était parce qu’il le ménageait et craignait de l’humilier.

— Vous me connaissez ? questionna-t-il brusquement, d’une voix saccadée. Me suis-je présenté ou non en entrant ? Je suis si distrait...

— Vous ne vous êtes pas présenté, mais j’ai eu le plaisir de vous voir une fois, il y a quatre ans de cela, dans ce même couvent, par hasard.

Tikhon parlait très lentement, d’une voix égale, douce, prononçant chaque mot clairement, distinctement.

— Vous dites que je suis venu ici il y a quatre ans ? répondit Nicolaï Vsièvolodovitch presque grossièrement. Je n’y suis venu que lorsque j’étais encore enfant ; vous n’y étiez donc pas...

— Peut-être avez-vous oublié ? observa prudemment et sans insister Tikhon.

— Non, je n’ai pas oublié ; ce serait ridicule de ne pas se souvenir, insista avec une sorte d’exagération Stavroguine. Vous avez entendu parler de moi probablement, vous vous êtes fait une certaine idée ; et maintenant vous vous imaginez m’avoir vu.

Tikhon se tut. Nicolaï Vsièvolodovitch remarqua alors que son visage était parcouru parfois par une sorte de