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d’elles ; il y avait là quantité de singes babouins et d’autres de cette espèce, enchaînés par le milieu du corps, grimaçants et s’agrippant l’un à l’autre, mais empêchés par le peu de longueur de leurs chaînes. Pourtant, je les vis qui parfois devenaient plus nombreux, et le fort alors s’emparait du faible, et toujours grimaçant ils s’accouplaient d’abord, puis s’entre-dévoraient, arrachant un membre d’abord, puis un autre, de sorte que bientôt il ne restait plus qu’un tronc misérable, lequel ils embrassaient d’abord avec des grimaces de feinte tendresse, puis finissaient par dévorer également. De-ci de-là j’en vis qui épluchaient, avec gourmandise, la chair de leur propre queue. La puanteur nous incommodait grandement tous deux ; nous rentrâmes dans le moulin ; ma main ramena le squelette d’un corps ; c’était les Analytiques d’Aristote.

L’ange me dit alors: « Ta fantaisie m’en a fait accroire, et de cela tu devrais rougir. »

Je répondis : « Réciproquement chacun de nous en fait accroire à l’autre ; c’est vraiment perdre son temps que de converser avec toi qui n’as su produire que des Analytiques. »

***

Il m’a toujours paru que les Anges avaient la vanité de parler d’eux-mêmes comme étant seuls sages ; ils font cela avec la confiante insolence qui naît du raisonnement systématique.

C’est ainsi que Swedenborg se vante d’avoir écrit des choses neuves — bien que ce ne soit qu’une table des matières ou un catalogue de livres précédemment publiés.

Un homme conduisait un singe pour une parade, et parce qu’il était un peu plus sensé que le singe, il s’enflait de vanité et se considérait comme sept fois plus sage que les autres hommes.

Tel est le cas de Swedenborg : il dénonce la folie des églises et démasque les hypocrites, et en vient à imaginer que tous les hommes sont religieux et qu’il est le seul sur terre qui jamais rompît les mailles du filet.