154 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
bouge, c'est que survienne le moment où elle aboutit à la trépidation ; et cette trépidation s'aggrave ici du lait que les Goncourt ont érigé le système nerveux en un facteur esthétique différencié et conscient à l'excès. Ils ont systé- matiquement provoqué chez eux l'entrée en jeu d'une force qui n'a toute son efficace et toute sa beauté que lorsqu'elle se dégage, électrique, à la pointe d'autres facultés dont elle s'offre alors à nous comme quelque merveilleuse antenne. Le réseau nerveux des Goncourt est si complètement à découvert que trop souvent l'on pense aux planches des atlas spéciaux.
Manquer de goût à force d'en avoir, — le cas des Gon- court nous apprend que pareille anomalie peut se produire : lorsqu'il est tout entier jouissance, le goût en matière d'art fausse parfois le tact en matière de style. La finesse même de la vision, le pouvoir de discrimination presque indéfinie qu'elle engendre, induisent certains artistes à mettre en cette finesse et en ce pouvoir toutes leurs complaisances, à modeler chaque sensation avec une insistance finalement indiscrète. « Est-ce beau ! Mais rendre ça !... le tripotis, le "roulement, ça ! » s'écrie un personnage de Charles Demailly devant le spectacle du bal de l'Opéra, et Charles lui-même, dans lequel les Goncourt ont su faire passer non seulement leur plus frémissantes mais aussi leurs plus nobles ardeurs, ne dit-il pas : « Combien dans ma vie aurai-je tripoté d'objets d'art, et joui par eux ! » Si, sur le plan d'une certaine bienséance, cet exercice déconsidère légèrement un artiste, le ravale au rang d'un collectionneur un peu gour- mand, du moins l'objet d'art n'en reçoit-il nulle atteinte : il n'en va pas de même de son équivalent verbal ; l'expres- sion, elle, ne se laisse pas tripoter sans qu'elle ne se chif- fonne quelque peu. Chez les Goncourt, il est vrai, le chiffonnage ne dépasse guère le point jusqu'où le mène à l'occasion une 1 ingère experte, tandis que certains de leurs imitateurs ont travaillé pour le chiffonnier sans plus. N'importe : cette continence esthétique qui chez le grand
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