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de la terrasse la figue la plus belle et la plus chaude. Elle me la tendait, ayant fendu en quatre la pulpe rose et granuleuse, et me regardait manger, cherchant dans mes yeux si j’aimais les fruits de cet arbre autant qu’elle les avait aimés à mon âge...

Mais dans cette cour où je me trouvais maintenant, et malgré une légère angoisse à l’idée des nouvelles contraintes scolaires, une joyeuse impatience chassait de moi tout regret. J’allais revoir Philippe Robin, qui était mon ami.

Il n’était pas encore là, car les élèves de l’institution catholique où il était demi-pensionnaire arrivaient au lycée juste pour l’entrée en classe. En l’attendant, parmi le bruit dont depuis deux mois je m’étais désaccoutumé, j’avais serré quelques mains et échangé quelques mots ; mais de la manière la plus insignifiante, la moins intime, réservant avec soin pour Philippe toute effusion essentielle. D’ailleurs, plusieurs des figures qui m’environnaient m’étaient inconnues ; d’autres l’étaient à moitié, ne portant pas de nom, ayant seulement la légende que je leur avais composée, les années passées, au cours des allées et venues quotidiennes.

Le détachement de l’école St-Xavier apparut.

En tête venaient de Montclar et de La Béchellière (c’était l’habitude chez nos professeurs de dire ainsi) qui tous deux avaient été dans la même division que moi en quatrième. Le premier, de taille moyenne, robuste, les traits énergiques, montrait cet air arrogant qu’il prenait toujours pour pénétrer au lycée. Il lançait des coups d’œil méprisants de droite et de gauche et faisait part de ses moqueries à son compagnon. Celui-ci, grand, le cou long, également d’aspect hautain, mais en raison de son buste étriqué et de ses gestes gourmés, laissait apparaître, en guise de réponse, une expression niaise sur son visage privé de couleurs. Enfin j’aperçus Philippe qui accourait vers moi.

Comme il avait changé ! Je ne pus retenir une exclama-