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Ij6 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

j'ai visité la maison de Gœthe. On l'a conservée intacte. On n'a pas déplacé un objet dans sa chambre depuis la minute de sa mort. Dans la ville, on montre — et avec quel respect ! — le banc sur lequel il s'asseyait, le pavillon où il allait rêver. Je t'assure que de tels souvenirs ont de la grandeur. En France, on ne voit rien de pareil. Il y a quelques années, on a fait une vente au château de Saint- Point, en Bourgogne, où Lamartine a vécu. Eh ! bien, mon père a pu acheter beaucoup d'objets qui avaient appartenu à Lamartine ; et, soit dit en passant, la plupart de ces reliques se sont trouvées être de très bonnes affaires. Nous étions toujours devant la statue.

— Est-ce que tu aimes La Fontaine ? me demanda-t-il. Et comme cette question me laissait embarrassé, il reprit

avec vivacité :

— Mon cher, c'est bien simple : La Fontaine est notre plus grand peintre de mœurs. Dans ces fables qu'on nous fait ânonner, il a dépeint son siècle. Louis XIV et la cour, la bourgeoisie et les paysans de son temps, voilà ce qu'il faut voir derrière les divers animaux. Et alors, comme l'anecdote prend de la valeur ! Combien il est audacieux dans sa moralité ! C'est ce que Taine a très bien compris... Tu as lu La Fontaine et ^es fables ?

Je fis signe que non.

— Je te le prêterai.

Je ne répondis rien. J'étais étourdi. Ce garçon qui pos- sédait des livres rares, qui distinguait avec assurance : « ceci est beau... cela ne l'est pas » ; qui avait voyagé, lu, observé, retenu des exemples, jetait en mon esprit tant de notions admirables que cette profusion me confondait. Je tournai les yeux vers lui. Qu'il fût supérieur à tous les camarades que j'avais, cela était évident et je n'en doutais pas ; mais je jugeais encore que je n'avais rencontré ni dans ma famille ni parmi notre milieu quelqu'un qui lui fût comparable. Ce goût si vif pour les choses de l'intelli- gence et cette façon si pratique de les présenter, cette

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