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l8o LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

intelligence, je te prie de le croire. Pas seulement des manifestations dans la rue, comme on s'est contenté de faire jusqu'ici. Non : nous établissons des fiches, des dos- siers ; et comme, vois-tu, à la base de toute fortune juive il y a toujours quelque canaillerie, nous suivrons pas à pas chaque } T oupin suspect, et au moment propice, vlan ! nous lui casserons les reins.

Il fit de la main un geste coupant. Sous la moustache rousse, très épaisse, mais taillée court, la lèvre supérieure se retroussa et découvrit, aux coins, des canines fortes.

Je n'aimais guère cet homme, qui par les goûts violents qu'il tentait de communiquer à Philippe éloignait de moi .mon ami. Mais, ce jour-là, ce fut avec un vrai malaise que j'écoutais ces propos. Il me semblait entendre au loin la plainte de Silbermann : « Je croyais que tu refuserais de me parler... je n'ai pas osé... »

Aussi comme l'oncle de Philippe poursuivait sur le même sujet et que Philippe, les yeux brillants, lui témoignait la plus vive attention, je me levai bientôt et partis.

L'appel de Silbermann à ma pitié m'avait touché profon- dément. Toute la soirée, je songeai à lui, me sentant bien plus attiré que lorsque j'étais seulement ébloui par ses dons merveilleux. Je me ressouvenais de ses yeux craintifs, le premier jour ; je m'expliquais son hésitation àm'aborder le matin ; et ces images, qui le représentaient parmi nous comme un déshérité, me navraient.

Dans ma chambre, machinalement, je pris un de mes .cahiers et l'ouvris aux dernières pages. C'était là, sur des feuilles barbouillées, qu'on eût pu pénétrer mes secrets ; c'était là qu'il m'arrivait de commencer une confession, d'écrire à un ami imaginaire, de griffonner des prénoms féminins. Puis, lorsque je m'apercevais de la puérilité de ces choses, ou, rougissant de honte, de la rêverie trouble où elles m'avaient entraîné, je me hâtais de recouvrir

ncre tout mon travail.

Je me mis à écrire à Silbermann. Je l'assurai qu'il avait

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