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l86 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

pire que l'indocilité, comme s'il y eût un ancien compte à régler entre lui et l'homme qui instruit.

Ce fut Montclar qui donna une direction nouvelle aux attaques contre Silbermann. Le premier, il le railla au sujet des caractères physiques de sa race et des pratiques de sa religion. Montclar n'avait pas d'esprit mais une sorte de fougue cruelle qui matait Silbermann.

Les autres, peut-être de convictions plus molles, mais flattés par la présence de Montclar au milieu d'eux, le sui- virent dans cette voie. On ne laissa plus échapper une occasion d'outrager Silbermann. Ainsi, tant que dura l'étude à'Esther, il dut supporter de voir, à chaque trait touchant les Juifs, vingt faces malignes tournées vers lui.

Il n'était pas le seul Juif dans notre classe, mais on ne s'en prenait pas aux autres. Ceux-ci étaient au nombre de deux : Haase, le fils du banquier dont on savait que la sœur avait épousé un d'Anthenay, et Crémieux, dont le père était député. Aucun n'avait un type sémite aussi mar- qué que Silbermann. Haase tentait d'effacer le sien par des modes britanniques : une coiffure qui défrisait et aplatissait ses cheveux, une prononciation guindée. Tous deux sem- blaient se placer au-dessus de Silbermann.

Ce fut une grande peine pour moi devoir Philippe se joindre aux persécuteurs. Je savais bien qu'il se plaisait aux jeux un peu violents ; je savais aussi que la façon d'agir d'un Montclar ou d'un La Béchellière n'était pas sans le guider ; mais son bon cœur l'empêchait toujours de com- mettre une action qui pût nuire à un autre. Je ne m'expli- quais pas cette haine instinctive et opiniâtre, telle que s'il eût senti ses biens et sa vie en péril.

Je me rendis déjeuner chez Silbermann. Je fus présenté à son père. C'était un homme d'aspect un peu lourd. Un accent étranger embarrassait sa parole. Des yeux sans vie, une chair jaunâtre, une barbe inculte, un gros nez, de grosses lèvres, donnaient à sa figure une expression stia-

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