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212 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

survécu au Jardin de Bérénice. Il ne s'agit, dans Un Jardin sur TOronte, que de Guillaume, chevalier franc qui, en la personne d'une sultane d'Orient, a le malheur et la gloire d'aimer une femme-reine, et même et surtout d'en être aimé. Et laissons même Guillaume, Saint-Cyrien sage et droit dont l'âme n'est guère plus compliquée (et M. Barrés l'a bien voulue ainsi) que celle des capitaines de Y Atlantide. Mais Oriante, elle, ne nous paraît nullement l'Antinéa du cinéma. Elle occupe le centre et presque le tout du livre. Elle vit, comme Léopold Baillord, d'une vie originale et poétique sous le modelé de laquelle on sent le pouce intelligent de l'auteur. Le décor oriental, les vers des poètes persans, n'ont aucune importance, ne forment qu'un placage agréable et superficiel auquel celui-ci s'est amusé. Bou- quet de musulmanes sur des coussins dans le jardin de Qalaat, bouquet de Parisiennes sur des canapés dans un hôtel du XVI e arrondissement, cela se mêle et se transpose facilement. M. Barrés n'a pas prétendu récrire les Désenchantées, même sous la forme des Enchantées. Et nous dirons comme Corneille à la première représentation de Baja\et : « Voilà des Turcs qui res- semblent singulièrement à des Français ». Mais il y a beau temps que nous tournons cela en éloges pour Racine. Nous pouvons le faire aussi pour M. Barrés.

Quelle revanche de Bérénice, qu'Oriante semble d'abord con- tinuer, mais pour la quitter en un si riche et courageux éclat ! « Toute flexible, mobile et enthousiaste, Oriante semblait de ces esprits qui jamais ne disent non. A tous les conseils, à tous les ordres, à toutes les prières, avant même que les paroles en fussent entièrement formulées, elle s'élançait pour répondre oui, cent fois oui, mais sous cette faiblesse et cette docilité appa- rente, quelle force intraitable ! quelle énergie de fourmi et ■d'abeille ! l'énergie d'une âme dominatrice qui n'admet pas que rien entrave sa vocation secrète ! Les sourires, les acquiesce- ments, les soumissions et les enchantements qu'Oriante pro- digue n'empêchent pas qu'elle percerait le roc, monterait dans la lune, et livrerait à la maie mort ceux qu'elle aime, plutôt que d'abandonner sa ligne d'ascension. »

Ame de poésie dont le chant de rossignol sait emplir et illu- miner la nuit, âme de domination qui, comme toutes les âmes de domination, sait aimer et peut aimer violemment, mais

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