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298 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

actes. Le soir, je m'empressai d'acheter un journal ; je l'ouvris fiévreusement. Je lus que le parquet avait retenu la plainte et je vis, recevant un choc, que mon père était le juge d'instruction désigné.

Le hasard fit que ma famille ne resta pas à la maison ce soir-là et que je pus ainsi abriter mon trouble dans la soli- tude. Mais dans la solitude mon imagination grossit les choses. Je comparai la situation où je me trouvais à l'un de ces conflits, amenés par une horrible fatalité, qui for- ment le sujet des tragédies. Déchiré par les scènes que je présageais, je restai éveillé toute la nuit.

Le lendemain matin, comme je partais pour le lycée, je vis, m'attendant au coin de la rue, Silbermann.

« Eh bien ! tu sais ce qui se passe ? dit-il avec viva- cité. Mon père est victime d'une machination abominable. Je vais tout te raconter. Mais, d'abord, qu'est-ce que ton. père t'a dit ? »

Je répondis que nous n'avions pas parlé de l'événement.

« Ecoute-moi, reprit Silbermann. Il faut que tu saches la vérité. Les Français de France, soit pour une vengeance personnelle dont nous ignorons le motif, soit par simple antisémitisme, se sont mis en campagne contre mon père. Chaque jour, dans La Tradition française, il est insulté copieusement et accusé de délits imaginaires. Or, pour le perdre, on n'a rien trouvé de mieux que de lui tendre un piège. Cet été, au cours de notre voyage en province, mon père a acheté beaucoup d'objets d'art provenant des églises et que les bons curés se hâtaient de soustraire aux inventaires du gouvernement. Oui, il faut croire que ces richesses tutélaires ont moins de prix pour eux que les espèces son- nantes... Le plus souvent, ces achats se faisaient indirecte- ment. Aujourd'hui, on accuse mon père d'avoir, à plu- sieurs occasions, acheté des objets volés. Il ne peut s'adresser aux vendeurs qui agissaient très probablement à l'instiga- tion de ses ennemis et qui ont disparu. D'autre part, s'étant déjà défait de quelques objets, il est dans l'incapacité de

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