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SILBERMANN 3 I 3

Quoi donc encore ? Les Juifs sont sales?... Vraiment? Où crois-tu que l'on trouve plus de salles de bains, dans ces maisons-là ou dans les hôtels du Faubourg ?... Ils sont rapaces aussi ?... Est-ce que tout homme qui tra- vaille ne cherche pas à gagner de l'argent ?... Ils sont voleurs?... Ah ! mon ami, si tu connaissais les louches brocantages que les plus beaux noms de France viennent proposer à mon père, tu conviendrais que notre façon de nous enrichir dans les affaires est bien honnête ? Si tu avais entendu, comme moi, la scène qui a eu lieu un jour, chez nous, entre le duc de Norrois et mon père, tu serais éclairé. Norrois, dans je ne sais quel marché avait volé mon père, mais là, volé, ce qui s'appelle voler. Mon père l'avait découvert. De la pièce voisine je l'entendais qui criait : « Comment ! Vous avez fait cela ? » Ah ! il ne lui donnait plus du Monsieur le duc !... Et l'autre, la voix suppliante : « Du calme, mon bon Silbermann, du calme... je réparerai tout... vous serez indemnisé... je vous en donne ma parole. » Le lendemain, la duchesse de Norrois envoyait des fleurs à ma mère. Mon père n'a jamais été remboursé de ce qu'il avait perdu. Il n'a jamais porté plainte.

« Je sais, je sais... vous n'alléguez pas seulement contre nous les tares individuelles. Vous soulevez des questions plus graves. Il y a, paraît-il, l'inconvénient social : nous formons un état dans l'état ; notre race ne s'assimile pas au milieu ; elle ne se fond jamais dans le caractère d'un pays... Comment en jugez-vous ? Est-ce possible autre- ment ? Durant des siècles nous avons vécu parqués comme des troupeaux, sans alliances concevables avec le dehors. Il n'y a pas cent ans que, en certains pays, nous avons cessé de voir des chaînes autour de notre résidence. Veut-on que nos liens héréditaires se dénouent du jour au lendemain ? Et ne comprenez-vous pas que vos dispo- sitions haineuses ne font que les resserrer ? Et puis, est-ce que chacun, dans une même nation et malgré un sang

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