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4)0 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE

de Washington, qui nous a fait perdre la face en Amérique, nous aura rendu au moins un grand service si nous faisons dater d'elle, pour une période un peu longue, le krach spirituel de l'avocat. « C'est une expérience assez attristante, dit M. Fabre- Luce, que de relire de vieilles collections de journaux français et britanniques. Les deux nations se sont ignorées à travers le temps, chacune se persuadant davantage de ses convictions et s'assourdissant de ses propres clameurs. La presse suit fidèle- ment l'opinion, qui elle-même reflète la presse. Deux miroirs, se réfléchissant l'un l'autre, ne montrent que le néant. »

C'est de ce néant qu'il faut sortir. Ce mois d'août 1922, l'édi- torial d'un des plus grands journaux français appelait M. Keynes le chef du défaitisme européen. Celui qui réfléchit à cette expression éprouve la sensation assez nette de ce que peut être l'essence même du néant, du néant d'opinion et du néant de presse. Un homme intelligent qui lit, pense, voyage, et qui professerait sur M. Keynes une opinion de ce genre, ne se rencontre plus. Le livre de M. Fabre-Luce nous fait toucher du doigt révolution qui s'est accomplie en France depuis les Con- séquences Economiques de la Paix et que trois étapes nous aide- raient à jalonner.

La première réaction française a consisté à prendre le livre de M. Keynes pour un plaidoyer « défaitiste » et à le réfuter du point de vue de la victoire. Les milieux officiels engagèrent immédiatement M. Raphaël-Georges Lévy à écrire une Juste Paix, que préfaça M. Poincaré, et qui s'est enfoncée bien vite dans l'obscurité. De son côté M. Tardieu, dans son livre apolo- gétique sur la Paix, préfacé par M. Clemenceau, plaida, contre M. Keynes, qu'il avait trouvé comme adversaire dans les com- missions de 1919, la cause de l'infaillibilité versaillaise.

Les réalistes sentirent que ces plaidoyers, si vite dégonflés, ne signifiaient rien, que M. Keynes était un fort honnête homme, qui disait ce qu'il pensait, du point de vue anglais, et qu'il devait nous exciter à produire, non contre lui, mais à son image, le point de vue français, commandé par notre histoire et notre géographie. Point de vue politique comme celui de l'Angleterre est économique : de là le livre si remarquable de M. Jacques Bainviîle sur les Conséquences politiques de la Paix, au sujet duquel j'essayais il y a deux ans, ici même, de foire le

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