Aller au contenu

Page:NRF 19.djvu/522

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ii

MES RÉVEILS

Quand Gisèle ne me quittait ainsi qu’au matin, je m’endormais beaucoup plus profondément que d’habitude. Comme un tel sommeil est — en moyenne — quatre fois plus reposant qu’un sommeil léger, il paraît à celui qui vient de dormir avoir été quatre fois plus long, alors qu’il fut quatre fois plus court. Magnifique erreur d’une multiplication par seize qui donne tant de beauté au réveil et introduit dans la vie une véritable novation pareille à ces grands changements de rythme qui en musique font que, dans un andante, une croche tient autant de durée qu’une blanche dans un prestissimo, et qui sont inconnus à l’état de veille. La vie est presque toujours la même, d’où les déceptions du voyage. Il semble bien que le rêve soit fait pourtant avec la matière parfois la plus grossière de la vie, mais cette matière y est traitée, malaxée, avec un étirement dû à ce qu’aucune des limites horaires de l’état de veille n’est plus là pour l’empêcher de s’effiler jusqu’à des hauteurs telles qu’on ne la reconnaît pas. Ces matins où Gisèle me quittait tard, la fortune m’advenait souvent que le coup d’éponge du sommeil avait effacé de mon cerveau les signes des occupations quotidiennes qui y sont tracées comme sur un tableau noir, et qu’il me fallait faire revivre ma mémoire ; à force de volonté on peut rapprendre ce que l’amnésie du sommeil ou d’une attaque a fait oublier et qui renaît peu à peu, au fur et à mesure que les yeux s’ouvrent ou que la paralysie disparaît.

Et souvent une heure de sommeil de trop est une attaque de paralysie après laquelle il faut retrouver l’usage de ses