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ANTON TCHEKHOV 535

qui recouvraient sa personnalité véritable, ne trouve plus rien, aucun résidu : la personnalité a péri, étouffée sous le vêtement qui s'est incrusté peu à peu dans sa chair. Parfois l'homme lutte, se révolte contre cet envahissement de son être. Dans son premier drame, Ivanov, par exemple (écrit vers 1889), c'est la révolte contre les idées morales et sociales transformées en principes abstraits et préten- dant à régir la vie que décrit Tchékhov. Le plus souvent cette révolte n'aboutit pas, la défaite du héros est com- plète ; mais, dans sa défaite même, il réussit à se retrouver lui-même, ne fût-ce que pour un instant.

Nul romantisme avec cela, nulle déclamation, nulle pose ; les choses se passent toujours très simplement, vulgai- rement, dirais-je même. Absence complète aussi de toute tendance moralisatrice, de théories philosophiques ou sociales.

André Gide faisait très justement remarquer à propos de Dostoïevski que la littérature russe s'occupe plus des rap- ports entre la personnalité humaine et Dieu, que des liens sociaux. On peut en dire tout autant de Tchékhov : ses descriptions du milieu social, ses scènes de mœurs ne sont pour lui qu'un moyen d'atteindre le moi intime de l'homme. L'homme nu — tel est le véritable problème pour Tchékhov.

Mais la carapace sociale est solide ; elle résiste à tous les coups, à toutes les secousses ; seule la maladie, la mort peuvent en avoir parfois raison. Aussi Tchékhov est-il impitoyable pour ses héros : il les pousse lentement vers l'abîme, il suit attentivement toutes leurs convulsions, il les lait souffrir tant qu'il peut, car ce n'est que lorsqu'ils auront tout perdu qu'ils retrouveront parfois un dernier espoir, inexprimable.

C'est de cette même source, de cette vision de l'homme nu que découle l'humour de Tchékhov, léger, naïf dans ses premières œuvres, plus tard mélancolique et ironique : le rire est toujours déclanché ici par le contraste entre les

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