6l2 LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE
Une dame m'a dit, après avoir entendu la pièce, et parlant de l'auteur : « Il a probablement eu certaines aventures désa- gréables, pour s'exprimer ainsi sur le compte des femmes. » Voilà qui n'est pas du tout un argument. Don Juan n'avait pas à se plaindre des femmes et pourtant il ne regardait pas à les faire souffrir et on peut penser qu'il ne les estimait guère. Aimer les femmes physiquement et ne pas les aimer moralement, cela va très bien ensemble, cela ne se contredit pas du tout. C'est tout de même curieux qu'on ne puisse pas voir clair en un sujet, sans être soupçonné de se payer de certains mécomptes. Exemple : un écrivain qui, faisant de la critique, dit tout ce qu'il pense et trouve partout, comme il en est forcément, plutôt des défauts que des perfections, plutôt de la bêtise que de l'esprit et plutôt du ridicule que de la grandeur. On veut à toute force qu'il juge ainsi par rancune, jalousie, déception, vengeance, manque de réussite, caractère aigri, carrière ratée, alors qu'il est, tout à l'opposé, le meilleur exemple d'un écrivain, qui, ayant très peu produit et sans rien demander à personne, n'a jamais rien pro- duit dans l'indifférence et s'est au contraire conquis quelques lecteurs, si bien qu'il est fort loin d'avoir à se plaindre de qui ou quoi que ce soit. C'est de moi-même que je parle ici, je tiens à le dire pour le cas où on ne le devinerait pas.
On peut avoir été aimé par les femmes et leur garder rancune pour les travers de leur caractère qui gâtent si souvent les plaisirs de l'amour. M. Jacques Natanson a fait du père de son héros un homme qui n'a eu que des déconvenues avec les femmes. Il aurait pu, il aurait dû en faire, au contraire, un homme à bonnes fortunes ayant toujours gardé la faculté de juger ses partenaires. Sa pièce y eût gagné et ces dames n'auraient pu dire, tant de l'auteur que de son personnage, qu'ils ne parlent ainsi des femmes que pour se venger de leurs mauvaises aventures avec elles.
M. Jacques Natanson a vingt et un ans, dit-on. Peut-on, à cet âge, avoir eu tant d'aventures, heureuses ou malheureuses, et les ayant eues, peut-on être capable d'y voir si bien clair ? Mon avis est plutôt celui-ci : M. Jacques Natanson est juif. Il a le don intellectuel des juifs : une grande capacité de tout analyser, de tout dissocier, de tout décomposer, de découvrir de quoi toutes choses sont faites et comment. Il a dû s'amuser à regarder de
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