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NOTES 627

en particulier le ralentissement des phénomènes vitaux, et, par suite, la modification de ce que l'on peut appeler le temps psychologique, la notion intime que nous avons de la durée, notion évidemment liée aux phénomènes intérieurs à notre propre corps. »

Il est vrai que, pour M. Bergson, la durée est purement spirituelle et n'a rien d'un système matériel. Mais je ne crois pas qu'on puisse confondre durée et esprit et, en dépit de tous les prodiges d'ingéniosité dialectique que l'on peut toujours espérer de M. Bergson, il ne me semble pas que la durée berg- sonienne soit une donnée à la fois acceptable et compatible avec les vues d'Einstein.

Pour étayer cette double opinion, je négligerai malgré son intérêt (mais la place me manque) le problème logique du temps, pour ne considérer que le problème psychologique et le problème physique. Le problème psychologique est celui-ci : y a-t-il une intuition ou une perception de la durée pure ? On ne convaincra jamais un mystique que son intuition est illusoire et, d'autre part, nombreux sont les disciples (j'ai été momentanément de ceux-là) dont « une certaine intensité d'effort philosophique contre nature », comme le dit Jacques Maritain, « a été capable de fixer l'esprit dans une vision ou dans une hallucination » de la durée bergsonienne. C'est, en tout cas, un admirateur de Bergson, c'est l'inventeur du « stream of thougt », William James, qui a déclaré que, tout au moins, la perception d'une « suite de durées pures que l'on sent poindre, se gonfler et s'épanouir comme des bourgeons sous un regard embrumé » est trompeuse. La conscience n'est pas alors « vidée de tous ses états multiformes ». Mais, de même que, les yeux fermés, nous voyons encore « un champ visuel sombre où passent des tranches de luminosité pâle », de même « le ténébreux royaume de la durée recèle encore de la vie : battements de cœur, respiration, pulsations de l'attention, fragments de mots ou de phrases qui traversent notre imagination, etc.. » (Je signale dans Proust — A l'Ombre des Jeunes Filles en Fleurs — une admirable notation sur l'évaluation du temps d'après le sentiment de nos forces refaites pendant le sommeil.) On peut se demander si ce n'est pas toujours une réalité à quatre dimensions, une réalité à

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